LA MODE SE PREND LA TETE

Les semaines passent et je reste frappée par cette image. Il s'agit du défilé Gucci présenté à Milan dans une salle aux allures de salles d'opération, sur le thème "Gucci Cyborg". Avec entre les nerds échappés d'un couvent techno mystique, des classiques revisités en version instagrammable, cette fille blonde, à laquelle Shakespeare aurait pu faire dire: "Puisque l'homme n'est pas maître de ce qu'il quitte, qu'importe qu'il le quitte de bonne heure" (Hamlet). Voici venue l'ère du désanchantement animé, de la parodie planétaire dont la mode est l'ambassadrice. Elle qui reprend ses silhouettes "corporate" (Gucci, Prada, Balenciaga), semble bien décidément condamnée à se prendre la tête pour exister, justifier des labels dont la légitimité passe moins par le rapport à la mémoire qu'aux circonvolutions cerebrales en mode pop. Plus les collections se multiplient, et plus il faut donner le change avec du "story telling". Plus le propos se complique, et plus il faut le scénariser avec des effets spéciaux (ici un atelier a travaillé pendant plus d'un an pour mettre au point ces clones). Plus la mode s'envole, et plus elle nous échappe.  Et plus le logo viendra dans les boutiques, donner le change, jouer les presse papiers à l'histoire qui s'enfuit, comme échappée d'un palais sans porte et sans fenêtre.