Christiane Taubira:  »On ne risque pas grand-chose à transgresser les codes mondains »

Economiste, députée socialiste de la 1ère circonscription de la Guyane depuis 19 ans, Christiane Taubira a été la candidate du Parti radical de gauche lors de l'élection présidentielle de 2002. Elle a donné son nom à la loi française, votée en 2001, qui reconnaît comme crime contre l'humanité la traite négrière et l'esclavage.

L’apparence est-elle importante en politique ?
Elle l’est de plus en plus. L’apparence et l’image ont phagocyté le message. C’est une distorsion qui fragilise la démocratie.
Est-il difficile pour une femme politique de se vêtir comme elle le souhaite ?
Dans une certaine mesure oui, à cause des codes officiels ou mondains. Mais on ne risque pas grand-chose à transgresser. Des ricanements dans le dos, ou de n’être plus invitée. En ville, en forêt ou en soirée culturelle, je ne m’interdis rien que me dictent mon goût et mon tempérament. Simplement, je consacre assez peu de temps à mon apparence. Je ne pratique pas l’autocensure. Je fonctionne à l’inspiration du moment. J’ai néanmoins rompu avec les dysharmonies flagrantes, rayures et fleurs, chaussures à l’ouest (du reste), couleurs chamailleuses.
Le dress code à l’Assemblée nationale ?
Il y en a un, explicite mais obsolète (prohibition du pantalon) et un implicite, que les femmes enfreignent de plus en plus en portant des couleurs vives et des hauts plus seyants et beaucoup plus décontractés que la veste. Le tailleur, que l’on pourrait considérer comme l’uniforme républicain, est en train de devenir marginal.
Les tenues vestimentaires des femmes politiques sont toujours plus
commentées que celles des hommes…
Le pire c’est qu’elles sont aussi commentées par des femmes. C’est le sexisme ordinaire. La femme est plus volontiers ramenée à son corps et à son apparence. C’est parfois un réflexe mais c’est aussi, profondément, la manifestation d’un ordre social et symbolique masculin qui veille à la répartition des rôles, comme pilier de sa suprématie. L’homme peut séduire, la femme doit plaire. Nos aînées ont dû parfois emprunter des chemins souterrains. Notre génération affiche franchement que nous partons à la conquête des domaines réservés, l’économie, la sécurité, les affaires étrangères, la défense, et pas seulement les affaires sociales et la
famille. Tout cela sans renoncer à notre féminité.
Quelle importance accordez-vous au vêtement ?
Je suis à la vérité indifférente aux phénomènes de mode. Disons que je satisfais à deux contraintes, ne pas torturer mon corps et correspondre à peu près aux circonstances. Deux conditions pour éviter le ridicule. Pour tout dire, je suis plus attentive à mes dossiers qu’à ma garde-robe.
Soignez-vous votre image ?
Je suis plutôt d’une négligence coupable, la plupart du temps par imprévoyance d’ailleurs, car j’aime assez, lorsque je tombe sur mon image, constater une élégance, sobre mais réelle, plutôt qu’une tresse défraîchie, une natte indisciplinée, une tenue dépareillée, un vêtement sombre ou une mine renfrognée. J’aime la liberté de mon corps. Par conséquent je ne porte rien qui me corsète. J’ai une préférence pour les jolies robes, mais les occasions sont assez rares d’en porter. Je ne rechigne pas à mettre en valeur ce que j’ai de beau ; longtemps j’ai porté de beaux décolletés d’épaules et pas porté de soutien-gorge en dehors des périodes d’allaitement. Je me suis remise au soutien-gorge à mon élection, à 41 ans. J’ai beaucoup pratiqué le vélo en short en ville, malgré les langues vipérines. Et j’ai bien fait car le temps passe bien plus vite qu’on ne pense, et ce sont les photos qui nous rappellent nos audaces.
Y a-t-il des créateurs qui vous séduisent particulièrement ?
Il m’arrive de porter Rykiel, Armani, Darel, des achats faits sur le moment, au besoin ; mais j’ai eu une vraie et longue période (qui peut revenir) Denis Devaed ; je reluque aussi pas mal ce que fait Alphadi et ce qu’inventent les stylistes qui ont innové à partir des premières créations de Gisèle Gomez. J’aime assez les bijoux Michaela Frey (en plus des bijoux en or travaillé en filigrane par les artisans bijoutiers de chez moi, en Guyane).
Interview Céline Hussonnois Alaya