Philippe Starck: Le parfum dans la peau

Philippe Starck lance une collection de trois fragrances: Peau de Soie, Peau d’Ailleurs, Peau de Pierre illustrent les intentions d'un créateur à la recherche de voyages inédits, de nouveaux langages olfactifs, au bord de l’invisible. Il se confie à Stiletto.fr

L’odeur de la création

“Avant le parfum, j’aime l’odeur. Le parfum n’est jamais que l’orchestration par l’humain des odeurs. C’est déjà un produit fait, fini, et cela ne m’intéresse plus, en théorie. Tant que je n’avais pas fait mes parfums, je m’entourais d’odeurs: le goudron, le coaltar. Le cade. La fève tonka. Cette petite herbe qu’on trouve dans les dunes. L’ambre gris…”

Rêveur professionnel
“Je suis avant tout un rêveur professionnel: je l’ai décidé très jeune, dans l’enfance. C’est d’ailleurs l’une des seules choses que je pense avoir décidé dans ma vie. Je savais que mon métier était de rêver et de délivrer ces rêves. Or pour moi il était naturel de rêver de produits… Et j’en ai toujours eu honte. La matière est peut-être un passage obligé, mais cela est surtout la vulgarité, et la fin du rêve. Mes concepts prenaient toujours forme. C’est la première fois que mon outil (le parfum) était abstrait, créant de l’abstrait: de l’abstrait qui crée de l’abstrait, c’est exponentiel et infini… Or la notion d’infini est la seule qui m’intéresse.”

Starck Parfums
“Je ne courais pas après cette idée de faire un parfum: d’abord parce que je ne cours après rien. Des compagnies étaient venues me proposer des choses, je me suis très rapidement aperçu qu’ils allaient simplement utiliser mon nom: c’était hors de question. Je n’ai jamais rien signé qui ne soit pas directement de moi. De plus, je n’avais pas de légitimité à faire un parfum: je ne sais pas le faire. Puis ces gens (la société espagnole Perfumes y Diseno, ndlr) m’ont proposé de choisir des nez à l’aveugle, puis de travailler avec eux. Nous avons filtré des centaines de bouteilles, réussi à repérer les gens avec lesquels je serais en harmonie, puis avons parlé, pendant des heures et des heures. Jamais de parfum, toujours d’autre chose: quelle serait l’odeur du vide? L’odeur de la vitesse? L’odeur de la nostalgie heureuse? Ces nez extraordinaires ont parfaitement joué le jeu.”

Un moyen d’expression
“J’ai été particulièrement heureux de travailler le parfum qui est un véhicule abstrait, le véhicule le plus fort de passage d’informations vers le cerveau. Le plus large, le plus libre, le plus évocateur, le plus direct, le moins pollué. Moi qui ai passé toute ma vie à essayer de m’exprimer, j’avais enfin un outil abstrait, donc beaucoup plus direct.”

L’abstraction du flacon
“Les parfums sont nés après des heures de conversation, des mois d’attente et de réflexion… Puis il a fallu passer à quelque chose que j’avais totalement oublié… La bouteille! Je n’avais même pas pensé qu’il fallait une bouteille! J’ai cru que j’allais y échapper, faire comme Coco Chanel, prendre n’importe quel flacon, mettre le nom sur une étiquette et voilà… Or ces parfums, comme tout dans la vie, sont des mystères. Il fallait prendre une porte, et envoyer à l’intérieur un indice du mystère qu’elle contenait. Pour "Peau de Soie", c’est ce rose grisé, satiné comme la soie. Pour "Peau de Pierre", un parfum pour un homme chez lequel on espère un centre féminin, il y a ce gris rosé, texturé comme la peau masculine. Et au centre, pour "Peau d’Ailleurs", il n’y a rien d’autre que le vert de l’infini. Ce sont des indices.

L’odeur du mensonge
“Les odeurs qui me dérangent? Les mauvais parfums, faits par des services marketing talentueux se servant des bas instincts de l’homme pour les tirer encore plus bas… Il ne s’agit d’ailleurs pas forcément de l’odeur, mais de ce qu’il y a derrière. Mais en réalité, rien ne me dégoute: toutes les odeurs sont intéressantes. Sauf peut-être celles du mensonge et de la vénalité…”

Starck.com/fr

Propos recueillis par K.P.

starck-pds-pda-pdp-vapo-90ml-rbg-high001.jpg Peau de Soie, Peau d’Ailleurs, Peau de Pierre, les trois parfums de Philippe Starck

p-starck-by-nicolas-guerin002.jpg (photo: Nicolas Guerin)