Vincent Meylan:  »Ecrire des contes est un peu le sens de mes livres ».

De la place Vendôme, il connaît tous les secrets. Journaliste et historien, spécialisée de haute joaillerie, Vincent Meylan poursuit son exploration parée avec un troisième opus, consacré à Mellerio dits Mellers, joaillier de toutes les reines de France depuis Marie de Médicis, qui fête en 2013 ses 400 ans d'histoire. Un livre d'histoire qui se lit comme un roman, haut en couleurs et en secrets d'archives révélés.

Vous commencez le livre par l'histoire d'un incroyable Trésor, le drap mortuaire utilisé pour les funérailles de Louis XIV à Saint Denis. La joaillerie s'appréhende t-telle comme un conte? Comme un conte de fées ?
Parfois. Lorsque le bijou concerné a une histoire légendaire comme ce fameux drap mortuaire ornée de fleurs de lys d'argent qui se trouve dans l'église de Craveggia, la ville d'origine des Mellerio en Lombardie. Sur un mode un peu plus quotidien, la joaillerie est un conte parce qu'elle raconte toujours une passion, ou plusieurs, un amour, une guerre, une révolution, les relations entre un homme et une femme, une mère et sa fille. La joaillerie nous conte des histoires. Parfois elles sont très intimes et nous sommes les seuls à les connaître. Parfois, à l'inverse, les joyaux nous content des histoires plus vastes parce qu'elles trouvent leur origine dans la vie de personnages célèbres. Des reines par exemple chez Mellerio. Ecrire des contes, est un peu le sens de mes livres. 

Quel a été le point de départ de cet ouvrage, comment avez vous travaillé dans les archives de la maison Mellerio dits Meller?
J'ai commencé ce livre, il y a plus d'une dizaine d'années. A l'époque, Olivier Mellerio m'avait contacté parce qu'il avait apprécié un de mes livres et il m'avait dit : "Si jamais un jour nous faisons un livre, ce sera vous qui l'écrirez". Et il a tenu parole en cette années des 400 ans de la maison. Bien sur je connaissais la maison depuis beaucoup plus longtemps, plus de vingt ans. Mon travail, tout au long des trois livres consacrés à la joaillerie que j'ai écrit, débute par une première phase qui consiste  éplucher les archives afin de les faire parler. C'est sans doute ma culture historique qui me permet de reconnaître sous tel ou tel nom une cliente d'autrefois aujourd'hui oubliée. Chez Boucheron ce fut le cas de la Païva, la plus célèbre des courtisanes du XIXème siècle qui se "cachait" sous le nom de son mari, le comte Henkel von Donnersmarck. Chez Mellerio, la première cliente que j'ai identifié ainsi, fut madame de Craufurd qui est un personnage fabuleux. Une danseuse italienne, qui fut la maîtresse d'Axel de Fersen, l'amant de coeur de Marie-Antoinette et qui l'aida à organiser la fuite à Varennes.

Parmi tous les fabuleux objets cités, pourquoi le bracelet de Marie Antoinette vous émeut il en particulier?
Ce bracelet évoque plus la fascination que nous éprouvons aujourd'hui encore, et celle qu'elle provoquait de son temps, pour Marie-Antoinette, que Marie-Antoinette elle même.Elle est "la" reine française connue à l'étranger. Les japonais ont conçu des mangas autour d'elle.  Compte tenu de l'importance des bijoux qu'elle possédait, celui-ci est somme toute assez mineur. Ce qui m'a fasciné dans les archives de Mellerio, ce sont tous les personnages proches de Marie-Antoinette et qui lui sont dévoués jusqu'au fanatisme, que l'on retrouve dans les livres de commandes. Madame de Craufurd et son époux, les dames de Tourzel, mère et fille, François Mellerio… Tous complotent pour la sauver, lui restent fidèles jusqu'à la mort, risquent leur vie pour elle. Je suis toujours fasciné par les actes d'héroïsme. Et ce bracelet symbolise les actes héroïques de ces personnages qui tous, à un moment ou un autre, ont risqué leur vie pour celle qu'ils appelaient "la reine" sans mention de prénom comme s'il n'y en avait qu'une. Je pense que Marie Antoinette n'est qu'un prétexte dans cette révolution française. Elle n'est ni meilleure, ni pire que d'autres femmes de son temps. Mais elle suscite une dévotion qui me fascine. Tout objet lui ayant appartenu, comme ce bracelet, est une relique. C'est en tant qu'objet d'un culte un peu étrange, celui d'une reine, que ce bijou m'émeut. Un peu comme la relique d'un saint. 

En quoi la parure d'émeraudes et de diamants de la Reine Amélie demeure t-elle votre mandala?
Je ne sais pas si elle est mon mandala, ou l'un de mes mandalas ? En tout cas, ces bijoux me poursuivent depuis des années. J'avais découvert l'histoire de cette parure il y a plus de vingt-cinq ans lorsque j'avais écrit un article sur Mellerio pour l'Eventail. Entre 1816 et 1830, Louis Philippe, alors duc d'Orléans, et sa soeur, mademoiselle Adélaïde, avait composé, pierre par pierre, une parure d'émeraudes et de diamants pour leur épouse et belle-soeur, la future reine Marie-Amélie. A cause de mon travail de journaliste à Point de Vue, j'ai bien connu les descendants du roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie, et ces bijoux m'ont toujours un peu suivi. Qu'étaient-ils devenus ? La reine les avait, semble t-il, légué à sa fille, Clémentine. Des années plus tard, j'ai retrouvé ces bijoux chez Van Cleef & Arpels, lors de mes recherches pour un précédent livre. Cela a bouclé la boucle.   

Qu'est ce qui, entre le bouquet de roses en diamants de la princesse Mathilde, et les exigences de Joséphine, qui "accumulait par dizaines, des parures composées d'agates, de perles d'argent ou d'or, de cornalines, de malachites, de scarabées, (…) de coraux roses, de coraux framboise", permet à Mellerio dits Meller de s'imposer comme le joaillier des reines?
Mellerio est le plus ancien des joailliers de Paris. Aujourd'hui les parures les plus somptueuses s'adressent aux épouses des hommes les plus riches. Autrefois, ces joyaux revenaient aux reines. Entre 1613 et 2013, Mellerio a duré infiniment plus longtemps que tous les autres. Il y a donc énormément de reines dans son histoire. Aucune autre maison de la place Vendôme n'a un brevet de Marie de Médicis, n'a vendu un bijou à Marie Antoinette et n'a continué à exercer son métier de joaillier jusqu'à aujourd'hui avec des parures extraordinaires qui sont portées à la cour d' Espagne, à la cour des Pays-Bas…

Le style peut être indépendant des caprices?
Bien sûr ! Le style en haute joaillerie a trois composantes : Les pierres ( on ne fait pas de la haute joaillerie avec des pierres fines), l'idée de la maison ou de son styliste, et le goût de la cliente, son envie, son caprice. Un caprice de cliente peut exister tout seul à condition que le pierres pour le réaliser existent. C'est le principe de la commande spéciale. La haute joaillerie basée sur le style, c'est à dire une tendance déterminée par un créateur, peut marcher, ou pas. C'est la différence entre une bonne et une mauvaise collection. Personnellement je trouve que le style s'il est important en joaillerie, arrive clairement en deuxième position en haute joaillerie qui est, avant tout, une affaire de pierres. 

Pour la seule année 1861, la princesse Mathilde commande, un an après le pillage du palais d'Eté des Empereurs de Chine à Pékin, deux colliers, dont l'un de cent deux perles blanches, d'inspiration très asiatique. Les reines d'aujourd'hui seraient elles plus politiquement correctes?
Difficile de répondre à cette question sans la replacer dans son contexte historique. Le pillage du palais d'Eté des empereurs de Chine était-il politiquement incorrect sous le Second Empire à une époque ou le colonialisme était considéré comme une "mission civilisatrice" ? A tort bien  sur, pouvons nous dire aujourd'hui. Mais qu'en était-il il y'a 160 ans. Je ne sais pas si la commande de ce 2ème collier était un geste très aussi significatif qu'on peut le croire aujourd'hui. A mon avis, c'est l'exemple parfait d'un caprice de femme élégante qui veut s'offrir un bijou de style chinois parce que la Chine est  la mode. 

A 48 ans, la princesse Youssopov n'hésite pas à parer son décolleté d'émeraudes et de diamants. En quoi les bijoux demeurent ils une parade, une manière de briller autant que de se défendre?
C'est amusant de répondre à cette question et très personnel en fait. C'est exactement ce que je fais inconsciemment. Les matins où je suis de mauvaise humeur ou fatigué, j'a un peu tendance à accumuler les "grigris". Si je porte ma pierre porte-bonheur qui est un rubis de Mellerio, ma bague Boucheron, mon bracelet perlé de Van Cleef & Arpels,  ma croix en turquoise et dieu sait quoi, c'est que je me sens vulnérable. Je met une "armure". Donc pour répondre à votre question, je crois que les bijoux qui sont souvent des souvenirs de moment heureux peuvent constituer une sorte d'armure protectrice. C'est d'ailleurs ainsi qu'on les conçoit en Indes où ils ont un pouvoir protecteur clairement affirmé. 

Peut on dire de Mellerio dit Meller qu'il est un joaillier monarchiste?
Non.Simplement Mellerio a beaucoup travaillé pour les rois parce qu'à l'époque le monde était gouverné par les rois. Ce n'était pas un choix, c'était un fait. 

Vous terminez par le diadème de saphir et de diamants de la maison Royale des Pays Pas, créée par Mellerio en 1881, et portée par la Reine Maxime le 30 avril 2013. Les diamants ont ils la vie plus longue que les révolutions et les empires?
C'est bien cela qui les rend fascinants au delà de leur beauté intrinsèque. Ils disposent contrairement à nous, de l'immortalité. Une propriété fascinante et c'est sans doute pour cela qu'ils nous ramènent tranquillement à la question fondamentale de la vie et de la mort. J'aurais bien aimé que Freud écrive "le diamant et son interprétation".
Propos recueillis par Laurence Benaïm

Vincent Meylan, Mellerio dits Meller, joaillier des reines, éditions Télémaque.