ERIC CHARLES-DONATIEN, LE PLUMASSIER INSPIRé

Qu’il travaille pour Thierry Mugler (alias Manfred), Homo Faber ou Toyota, cet embellissent r parisien crée des parures, mais aussi des bijoux et des sculptures qui donnent des ailes.

Autant tomber le masque. « Tout ce qui est aérien me fascine depuis l’enfance ». Ex étudiant à la Chambre Syndicale de la Haute Couture, il se souvient avoir travaillé pendant quatre ans l’été comme bagagiste à Roissy, « juste pour être le plus près possible des avions ».. Il a le vertige, mais est attiré par le vide, ne voyage que côté hublot. « J’aime les cimes, l’attitude, les gratte ciel.. Pour un citadin, être en hauteur, c’est un peu avoir la mer qu’on n’a pas… » Avec Eric Charles-Donatien, la conversation s’engage, papillonne, dans ce loft atelier aux allures de cabinet de curiosités géant. Echelles de bois d’or et masques de carnaval, livres d’art et capeline en dégradé de plumes d’autruche façon léopard pour Dior, chaque objet semble surgir au détour d’une table de coupe. Satan et Belzebuth se consultent sur une gravure, tandis qu’une perdrix veille au dessus de l’ordinateur.

Pierres trembleuses 

Des souliers créés pour Roger Vivier à l’époque de Bruno Frisoni se dressent sur un perchoir, l’empeigne fièrement emplumée. Derrière un paravent de théâtre, une mini cuisine de teinture, des fait tout où trempent des ramages immaculés. Son royaume enchanté, c’est ce plateau de la rue d’Aubervilliers, dans l’immeuble même où travaille Marine Serre, qui vient de défiler à Paris. Au loin, le Sacré Coeur et la Tour Eiffel, et même le Palais de Justice de Renzo Piano… « Un atelier à l’ancienne » précise Eric Charles-Donatien, formé à l’école du plumassier André Lemarié, avec lequel il a fait ses armes pendant sept ans, avant de voler de ses propres ailes. Ses trucs en plumes sont laqués, dorés, ses bijoux (car il a aussi appris à les techniques de la dinanderie), jouent avec les plumes, vraies ou métalliques, comme s’il s’agissait de pierres trembleuses.

 

 

Le mouvement d’abord 

Ici, pas de coupe au gabarit. Chaque plume est teinte, coupée à la main. « Mon but est de m’assurer que ceux qui travaillent à mes côtés ne soient pas dans l’exploitation de la matière…. » Dans cette époque hautement anxiogène et soumise au règne de l’urgence, il n’hésite pas à en effet prendre son temps, attendre les « mues » pour s’approvisionner en plumes. Autruche, coq, oie, dinde, faisan, pigeon, toutes les plumes sont d’élevage. Elles arrivent ici traitées, avant d’être métamorphosées. Le grand art est là. Ne pas rechercher la perfection qui anesthésie le mouvement. Avec lui, le savoir faire passe par le savoir sentir, voir, rêver, suggérer l’envol.   « L’artisanat, c’est le corps engagé ». Un corps tout entier dévoué à une passion multiforme. Là, une vitrine de joaillier. Ici les broderies et les plumes du duo Anir et Esther, qui ont présenté leur collection à Paris cette saison, ou encore de nouvelles sculptures en préparation pour la Villa UGC au Festival de Cannes, le salon AD Matières d’Art (juin 2020). Eric Charles-Donatien travaille autant les plumes que le laiton, l’acier et le cuir, c’est l’embellisseur inspiré. « Le meilleur client, c’est celui qui a une vision claire et exigeante de ce qu’il veut. Mais avec lequel tout est possible. Parce qu’il ne vous transforme pas en exécutant ». D’où la passion qu’il éprouve à travailler pour Thierry Mugler, alias Manfred. Ce furent en 2019, la robe « Wet », comme les perruques de Kim Kardashian au Met Gala de New York, mais aussi le travail d’accessoirisation des costumes de deux danseurs de Wayne Mc Gregor au Royal Opera House de Londres. Pour Couturissme, la rétrospective en tournée mondiale (à l’automne prochain à Paris), il a retouché tous les vêtements de plumes et de crin.  » Manfred a la dureté de ceux qui attendent que vous ne les déceviez pas. Il crée sa réalité, qui ne correspond à aucun code. »

Plumes masculines 

Ainsi en va t-il des affinités électives. D’une amitié avec son ange gardien, la septuagénaire et flamboyante new yorkaise Vera Wang. De cette histoire de rencontres en apesanteur qui font oublier l’âge, le temps, ou plutôt « charrient le passé positivement ». Quand il était chez Saint Laurent, Hedi Slimane lui a demandé des « plumes masculines »: « J’ai coupé les têtes en biais, j’ai enlevé les bords arrondis, pour créer un effet tuiles… » . Tout sauf les ronrons revue et l’académisme. « Je ne dis pas j’invente, je transforme en prenant mon élan dans le passé. » Qu’il s’agisse d’une sculpture en plumes de coq et d’autruches commandée par Toyota et Wafrica -et actuellement exposée à la Maison du Japon- ou d’un centre de table Samouraï pour Homo Faber à Venise en 2019, Eric Charles-Donatien joue avec les vides et les pleins, le léger et le plus lourd, pour signifier la propulsion, le mouvement. Dans le nouveau spa de l’hôtel de Crillon revisité par Tristan Auer, il a habillé l’alcôve du salon de coiffure d’un décor mi minéral, mi végétal, tout en volutes fantastiques. Du mouvement, il en est encore question dans ces drapés de plume. « Tout, sauf du papier peint ». Ce faisant, il n’hésite pas à sortir l’esthétiquement correct de sa cage. « Le moche, ce n’est pas le contraire du beau, c’est le beau inerte, sans énergie. C’est aussi l’absence de vision. » Il précise: « La recherche d’excellence se résume souvent à une perfection métrique, à un contrôle abusif de la matière.

JEUX DE PLUMES 

Eric Charles-Donatien joue avec les illusions et les sens, pour arriver, à force de technique, à s’affranchir de celle ci… « La vie, c’est ce qui émane de la matière, et que je me tue à reproduire ». Dans un univers en proie à une grave crise d’identité et de conscience, Eric Charles Donatien, cherche à l’intérieur de lui même les raisons de s’envoler, obsessions en tête: « J’ai toujours pensé que j’avais des ailes, et que je devais les récupérer un jour ».

 

Bio Express

15 septembre 1972: naissance à Paris, de parents français nés à la Martinique.

1997: rencontre Yves Saint Laurent, avec son patron mentor André Lemarié.

2012: création de son studio atelier à Paris.

2019: collaboration avec Manfred (Thierry Mugler) pour Kim Kardashian.

2020: nouveaux projets pour la Maison du Japon, la villa UGC au Festival de Cannes, AD Matières d’art, Véra Wang..