KEVIN GERMANIER, MANGA COUTURIER

Le jeune créateur suisse a présenté sa collection automne-hiver 2020 chez Christie’s à Paris. Une installation éphémère qui consacre sa présence pour la première fois dans le calendrier de la Chambre Syndicale de la haute couture et du prêt à porter.

C’est le joker de la mode qu’on n’attendait plus. Celui qui bravant la morale des censeurs vegan et de la pensée unique, transforme le pari éco-responsable en un jeu, une joie hautement colorée. Il mange de la viande, ne se prosterne pas devant Greta Thunberg, et déboulonne les discours pontifiants sur la planète verte, les tee shirt à messages bio-bos. Il ne théorise pas, il fait, défait, reprend, s’amuse, retaille un veston d’homme pour le parer de manches de plumes fluo, toutes inégales, surgies d’un carnaval déglingué. Le 28 février prochain, il sera à l’honneur à Paris, où il présentera sa cinquième collection. Une fois n’est pas coutume, elle sera montrée chez Christie’s, dans un décor éphémère réalisé à partir de cartons de bouteilles de vin et de paillettes.

Hallu allure. Couturier romand de 28 ans, Germanier fouille dans les poubelles de l’ère post industrielle, braconnier de la pacotille, il chine les métrages de paillettes invendus pour en faire des atours que plébiscitent Bjork, Lady Gaga, et Beyoncé, autant que les stars de la k-pop coréenne, de Sun Mi à Twice et au quatuor girly de Red Velvet qui a fait ses débuts avec « Happiness » et « Be Natural » en 2014. Son goût pour l’artisanat ne l’empêche pas de démonter des jouets made in China avec l’aisance d’un horloger suisse aux prises avec remontoirs, ressorts et rotors. Rien ne lui résiste. Ses harmonies fluos ont le goût un peu toxique des bonbons interdits.

Avec lui, les clientes ambassadrices semblent parées d’une force intergalactique, anges constellés des tapis rouges. Il suffit que Kristen Stewart, pourtant ambassadrice de Chanel, s’affiche en Germanier pour la première de Charlie’s Angel à Los Angeles (décembre 2019), pour que les ventes s’enflamment. Sur le site de e-commerce de MatchesFashion.com, ses robes immaculées en lamé recyclé, comme ses fourreaux perforés d’un anneau de douche sèment le désir. Kevin Germanier ou le Flash Gordon au pays des buveurs d’eau de coco, le Petit Poucet de la recup futuriste. Tout brille, tout scintille. Rien n’est jamais terne.

Sustainable glam? Les tissus de seconde main retrouvent chez lui l’énergie tout schuss d’un fonceur, né en 1992 à Granges, dans le Valais (Suisse). Au pied du Jura, entre Soleure et Bienne, est plus connue pour son château et son patrimoine artisanal horloger. Le soc de gueules d’argent de la commune – moins de 18000 habitants- brillera t-il comme les rubans de cottes de maille de cet as de la recup du troisième type? Sans doute. Kevin Germanier, l’urbain extra terrestre, vit et travaille à Paris, passant de sa chambre en noir et blanc à l’atelier cuisine laboratoire, comme un personnage de bande dessinée, entouré de sa « dream team ».

Ils sont deux à Paris, trois avec lui. Quand l’un teint les organzas, l’autre coud les volants, comme à l’orée d’un bal du troisième type. « Vous arrivez au moment le plus tragique » ironise le créateur, invariablement vêtu de noir. Comme pour mieux s’effacer derrière ce qu’il réalise, lui l’anatomiste de la première heure, dont la vocation remonte à l’enfance. « Je ne peux pas travailler sur des corps si je ne le comprends pas. Je l’aborde à travers les lignes, le mouvement… »

Des ailes et des paillettes Son histoire pourrait ressembler à un conte de fées manga ou presque. Elève à l’HEAD (Haute école d’art et de design), il intègre la St Martin’s School de Londres, ayant obtenu, après soixante trois lettres envoyées, une réponse positive d’Hélène et Victor Barbour (Suisse). L’équivalent de 12000 euros. Assez pour vivre et payer ses études, mais pas pour acheter toile à patron, boutons et règles. La suite lui donne des ailes. C’est donc en allant chercher des « end of rolls », et des « vieilles chutes », qu’il invente sa propre histoire, créant sa marque de manière « organique » après avoir remporté en 2015, l’Eco Design Award, -la seule compétition internationale sustainable- et dessiné une collection pour Shanghai Tang. A l’issue de neuf mois de stage chez Louis Vuitton à Honk Kong, la direction l’encourage à montrer ses créations. Elles seront toutes intégralement achetées par Matches Fashion. Depuis, quatorze personnes travaillent pour lui, famille comprise, en Suisse.

« Tout se fait au jour le jour, sur la table ». Sa mère, sa grand mère, sa grande tante de 82 ans tricotent ses habits de lumière. Une manière positive d’envisager l’upcycling, en digne héritier de Vivienne Westwood ou Stella Mac Cartney, mais aussi de Robert Piguet, le mentor de Christian Dior, couturier suisse dont il aime à rappeler le nom. En 2020, c’est la première fois qu’il s’est rendu au Salon des Tissus Première Vision. Il n’y allait pas pour choisir des étoffes, mais pour donner une conférence. Kevin détonne et trace. « Carré » dans ses coupes, fou dans ses mélanges, il dit qu’il a une étoile au dessus de sa tête, et compte parmi ses anges gardiens Serge Carreira, professeur à Sciences Po, nouveau venu à la Chambre Syndicale. « C’est le défaut, qui donne un sens à tout ce que je fais ». L’aléatoire et les heureux hasards s’imposent comme un nouveau luxe chez cet humaniste de l’obsolescence programmée. Un George Lucas dont les tenues remasterisées rappellent celles des patineuses de l’Est, dans les années quatre vingt. Le soleil qui mange les couleurs des tulles criards, les mailles irrégulières et bradées l’inspirent. « On m’a toujours dit que j’étais trop contrôlé, trop Suisse. En créant, je m’exprime. Son rêve? Etre heureux, vivre de ma passion. Garder cette atmosphère joviale. Tout se fait au jour le jour, sur la table ». Laurence Benaïm