Christophe Girard: Paris, la mode et la politique

« Nous n’avons pas en France l’équivalent de la St Martin’s School. Créons l’Ecole de la Mode de Paris. On ne peut pas défendre la fabrication française sans défendre la transmission des savoir-faire ».

S’il partage le nom d’un boxeur, et celui d’un pilote de moto suisse, Christophe Girard n’en demeure pas moins l’un des hommes politiques les plus atypiques de sa génération, instigateur des Nuits Blanches, connu pour ses prises de position en faveur du vote à 16 ans, de l’homosexualité et de l’homoparentalité. Dans les années soixante-dix, il vivait au Japon, où il fit ses débuts chez Yves Saint Laurent, avant de rejoindre le QG de l’avenue Marceau, à Paris. Adjoint au maire de Paris Bertrand Delanoé depuis 2001, et chargé de la culture, il est également conseiller du groupe LVMH et vient de publier chez Flammarion Le Petit Livre Rouge de la Culture – Propositions pour une République Culturelle, livre manifeste d’une centaine de pages, dans lequel il dénonce «dix ans de gouvernance conservatrice», et propose «une politique culturelle audacieuse et réformatrice» autour de trois axes : la création d’un Ministère de la Culture, de la Communication et du Numérique, la mise en place d’un plan national d’éducation artistique et l’inscription de l’art au cœur de l’espace public. De la mode que Jack Lang fut le premier à inscrire au chapitre des arts, il est l’un des rares à en faire un enjeu culturel, étant lui-même allé chercher le brillant Olivier Saillard pour diriger le musée Galliera. Questions.
Stiletto : La mode fait elle partie de la culture ?
Christophe Girard : Oui, si on ne fait pas l’erreur de prendre tous les créateurs de mode pour des artistes. Comme Yves Saint Laurent le disait, il s’agit certainement d’un métier artistique, dont les acteurs sont d’abord des artisans. Rares sont les créateurs de mode qui savent dessiner. Peu sont coloristes. Il y a en revanche beaucoup de stylistes. Madame Grès, Elsa Schiaparelli, Yves Saint Laurent, Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier, Azzedine Alaïa, Kenzo et plus récemment John Galliano, Alexander McQueen, demeurent pour moi des artistes, dans la mesure où leurs vêtements sont plus que des vêtements. Au-delà du sens de la coupe, de la technique, une vision particulière se dégage, irréductible à une seule fonction. En revanche, si j’admire beaucoup Gabrielle Chanel, qui a révolutionné le vêtement et libéré la femme, je pense qu’elle n’était pas une pure artiste.
Comment distinguez-vous le faiseur du créateur ?
Il y a ceux qui donnent une vraie direction. Je pense à Thierry Mugler, à Claude Montana, dans les années quatre vingt. Ils avaient un vrai style, un vrai univers. Ceux-ci ont été broyés par la vie, la mondialisation. Aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération très créative. Je pense à Nicolas Ghesquière, mais également à Raf Simons, et à Guillaume Henry. A un autre niveau, je trouve le travail d’APC très intéressant.
De quelle manière l’Etat pourrait intervenir en faveur de la mode ?
Il existe un certain nombre d’écoles, du Studio Berçot à l’IFM. Mais nous n’avons pas la force de frappe d’une école digne de la St Martin’s School, à Londres. C’est vraiment étrange. Il y a une déperdition extraordinaire des savoir faire. Il ne s’agit pas d’être nostalgique. L’or est là. Il s’agit de ne pas laisser s’enfouir. La première mesure serait de créer l’Ecole de la Mode de Paris. L’Etat pourrait en être l’initiateur, mais elle serait financée par les professionnels, dont je trouve l’attentisme étrange dans ce domaine. Un jour on apprendra que cette école existe en Inde, en Chine et ce sera trop tard. La France n’est pas un musée ni un cimetière.
En quoi votre rôle de conseiller chez LVMH, oriente t-il votre vision de la mode ?
Il m’apporte un sens de la réalité et une vision pragmatique des marques et de la profession dans son ensemble. Après un glissement excessif vers le marketing, je pense que la dimension artistique reprend le dessus. En ce sens, Marc Jacobs est un modèle, car il a réussi, à allier les méthodes des années quatre vingt dix, l’omniprésence du merchandising et de la finance, avec la création, en travaillant avec des artistes comme Stephen Sprouse, Murakami etc. Nous sommes en train de sortir du « tout com » pour aller vers plus de création, avec davantage de sens. C’est la même chose en parfumerie. Après des années de lancements multiples et incohérents, on revient à l’idée de jus, de contenu et d’un beau et vrai nom. Il était temps. La mode parfois manque quand même un peu d’humour et de folie. Et n’oubliez pas que je suis de la génération opium.
En matière de look, que vous autorisez vous ?
A cinquante ans, un homme doit veiller à ne pas courir après sa jeunesse. C’est parfois un défaut chez les gays, plus que chez les hétéros. J’aime porter des costumes très classiques, comme celui-ci, de Dior, avec la fantaisie d’un filet rouge. Une chemise Sonia Rykiel Homme. Un bonnet de cachemire Loro Piana. Des mocassins souples en daim de Louis Vuitton. Une jolie parka d’Agnès B. Une cravate noire et une écharpe de chez Hermès. Et surtout des chaussettes hautes.
Le détail qui tue ?
La socquette et le bout de chair visible. Et puis surtout, la chemise bicolore (col de couleur différente).
Vous est il déjà arrivé de donner un conseil à un homme politique ?
J’ai un jour envoyé un SMS à Manuel Vals, à cause de son costume hyperbrillant et de sa cravate flashy. C’est un beau garçon, il devrait s’habiller comme son physique.
Et François Hollande ?
Il met des costumes sombres, et des chemises blanches d’une grande sobriété. Il est très juste et cohérent. Il a compris ce qu’est l’allure. Si le vêtement donne de l’assurance, on a envie qu’il s’efface derrière le candidat et pas le contraire. »
Propos recueillis par L. B.

Christophe Girard, avec Catherine Deneuve, aux Hospices de Beaune dr

En Chine, avec Yves Saint Laurent DR

Un dessin représentant Christophe Girard, Bertrand Delanoë et Didier Grumbach, par Gladys Palmer DR

A Paris en 1971 lors de la manifestation contre la loi Debré. DR

Dans son bureau, une publicité Suntory le représentant, mannequin au Japon dans les années 70. DR

Un dessin de Pierre Daninos DR