Dominique Issermann, Tête à corps

Trois jours aux Thermes de Vals. Dans l’objectif de Dominique Issermann, Laetitia Casta se met à nu. De cette chorégraphie en images ont jailli, comme l’eau de la pierre de Vals, un livre et une exposition évènement à la Maison Européenne de la Photographie, à découvrir dès le 17 janvier 2012.

« Je ne cède rien avant d’avoir le sentiment que tout soit au point ». Cette phrase de l’architecte Peter Zumthor, prix Pritzker 2009, auteur des Thermes de Vals (Suisse), Dominique Issermann aurait pu la faire sienne.
Dans ce « bâtiment rempli d’eau » imaginé par ce géomètre des sens, elle s’est immergée à plusieurs reprises, avant d’inviter Laetitia Casta à partager ce voyage initiatique. En 2009, cette muse, qu’elle photographie depuis dix ans, accepte ce tête à corps, à l’image de celui qu’avait entrepris Dominique Issermann, avec Anne Rohart au Château Laffitte, en 1987. Pas de draps blancs, ni d’aristocratiques rayons de soleil drapés à la française. Nous voici dans une nef aquatique, « les murs sont lourds et forment presque un monolithe percé à peine pour laisser entrer la lumière, l’eau, les personnes », affirme Dominique Issermann. « Murs nus qui portent une langue qui se tait, une langue du silence… » Deux mains, puis une ombre projetée sur les murs, à tâtons ; « des clameurs d’eau se taisent sur les murs poignardés de lumière », les rondeurs d’une empreinte charnelle tranchent avec la vivacité des arrêtes.
C’est un souffle, c’est une présence. Celle d’une mannequin devenue actrice, comme vidée de tout ce que les autres ont projeté sur elle, nue mais habillée d’énigmes, rébus mouvant empli de cette force inouïe qu’elle propage, enceinte, immergée dans l’eau et le silence. Les voici unies par un pacte invisible : « C’est comme un plongeoir. Si on rate la première marche, on ne va nulle part… », dit Dominique Issermann, qui a construit ce livre et cette exposition, comme « une seule grande image ». La pierre devient un théâtre d’ombres, l’objectif ne capture pas une présence, pas plus qu’il ne la statufie. Voici Laetitia Casta calligraphiée à l’encre de chair, elle ne pose pas, elle avance, « elle est toujours devant moi, je la suis, je l’ajuste, je la recadre », assure Dominique Issermann, à la poursuite d’un rêve qu’elle rend visible dans cette complicité avec celle qu’elle dit ne jamais avoir vue complètement nue. « J’aime sa pudeur extravertie ». Le résultat est à la mesure d’une expérience unique, au-delà intime, évoquant parfois les nus de Weston ou de Man Ray, sans que jamais nulle citation ne vienne perturber la sensation pure, ce dessin en train de se former dans l’espace. Ce n’est ni le nu académique du modèle, ni le nu objet. « Ce sont des moments qui se répondent et qui s’opposent ».
Chambre noire des échos tactiles, érotisme d’autant plus puissant qu’il tutoie l’austérité des lignes, archéologie visuelle de ce qui se tait et de ce qui s’efface.
La beauté se lit, telle une empreinte en apnée, un mirage. En 2009, les rayons X de l’aéroport ont désagrégé les photos, empli les images de neige, jusqu’à les faire scintiller, dans les larmes. Il a fallu reconstruire les murs de Zumthor à la retouche, supprimer les balafres. Restaurer les pierres comme un chirurgien entre en scène, nettoyant les plaies de l’accident sur l’écran plat de la postproduction.
Résumé à vif de l’histoire d’un métier que Dominique Issermann sublime de son regard, dans ce jeu sans fin, « entre le rêve du départ et la réalité qu’il faut se coltiner, le sac de plastique au fond de l’eau, la lumière, l’équipe, les gens dans la piscine… L’important c’est de garder la magie. De faire son chemin. » Laurence Benaïm
Laetitia Casta, Dominique Issermann à la Maison Européenne de la Photographie, du 17 janvier au 25 mars 2012.www.mep-fr.org
Laetitia Casta photographiée par Dominique Issermann, un livre publié aux Editions Xavier Barral. Sortie le 19 janvier 2012. www.exb.fr

Dominique Issermann

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