Girl’s Acts

Hein-kuhn Oh réalise, depuis une dizaine d’années, des séries de portraits de femmes qui révèlent à la fois le désir et la fragilité de la Corée contemporaine. Un travail exposé cet automne à la galerie in camera, dans le cadre de Photoquai. Interview avec le photographe.

Pourquoi avez-vous choisi ces jeunes femmes?
Hein Kuhn Oh: La critique d’art Ann Beattie utilise le terme « ambivalentes » pour décrire les jeunes filles en proie à des conflits entre l’enfant et la femme. Avec cette pensée à l’esprit, j’ai commencé à photographier des lycéennes durant l’été 2001. Toutefois, au fur et à mesure que le projet avançait, j’ai réalisé que leur état d’ambivalence semble osciller de façon plus proche entre la jeune fille et la femme plutôt qu’entre l’enfant et femme. En conséquence, je me suis attaché à révéler le point de rencontre entre leur allure juvénile et les symptômes de leur féminité naissante, que l’on peut observer dans leur posture, leur silhouette et leurs démarches. Je voulais capturer les émotions fragiles des lycéennes coréennes à un stade ambigu et instable de leur vie.
Dans quelles conditions le shooting a-t-il eu lieu?
Au début, j’avais prévu de photographier des lycéennes ordinaires, croisées dans la rue, au hasard. Toutefois, des questions liées au droit à l’image ont entravé les progrès de mon travail. J’ai pu m’introduire dans une école secondaire de cours de comédie, où j’ai été en mesure de réaliser la plupart de mes projets. Bien que ces filles puissent être classées dans un groupe d’élèves professionnelles, leur manque d’expérience dans le jeu, leur âge et leur statut d’élève, les rendaient capable de faire le portrait de leur angoisse et de leur fragilité. J’ai photographié 2 ou 3 filles par jour pendant tout l’été, puis l’été suivant. Ma monographie « Girl’s Act » contient les portraits de 31 jeunes filles qui ont été choisies dans cet établissement et 97 jeunes filles qui ont bien voulu venir dans mon atelier.
Dans quelle mesure l’uniforme codifie-t-il une attitude?
Il y a toujours eu une notion de voyeurisme associée à l’uniforme scolaire. Pour accentuer cette impression de voyeurisme et de sensualité, j’ai mis des photos en pied dans un cadre ovale et les portraits de jeunes filles du secondaire dans un cadre rond.
“Girl’s act” : Pourquoi ce titre?
Au début, le projet était tout simplement intitulé « High School Girls ». Mais lorsque je me suis vraiment impliqué dans ce projet à l’été 2002, j’ai commencé à remarquer une attitude générale de jeune fille bien plus puissante que l’idée initiale de simples « lycéennes ». Ce que je trouve fascinant, c’est que les filles semblaient savoir exactement quel genre d’expression elles devaient prendre – comme si elles avaient suivi un ensemble d’instructions – qui semble avoir son origine dans le divertissement grand public. Elles ont probablement affirmé cette posture par le biais des médias, comme les séries télévisées, les films, les magazines de mode. J’ai alors voulu savoir pourquoi les filles adoptaient ce look de lycéenne : il pourrait être influencé par le désir de notre société de les faire paraître innocentes et naïves. A partir de là, l’objet de mon projet a évolué, s’est porté des lycéennes à ces filles « qui agissent comme des filles », et le titre est devenu « Girl’s Act ».
Les Coréennes sont les femmes asiatiques qui consomment le plus de produits de beauté. Ici, leur visage est naturel, dans une nudité extrême. Que cela signifie-t-il ?
“Girl’s Act” dévoile le visage le plus fragile des lycéennes coréennes. Je crois que le désir de ces jeunes filles de refléter ce qu’elles voient dans les média se décrit le mieux par leur apparence. La sincérité des personnages de ces jeunes filles ne se trouve justement pas dans leur intérieur, mais dans leur apparence. Même si on peut s’attendre à quelque chose de significatif derrière le masque, nous voyons véritablement ce qu’elles sont.
Vous avez publié quatre monographies consacrées aux femmes. Pourquoi cette obsession ?
En tant que portraitiste, j’ai toujours été intéressé par les conflits intérieurs que révèle l’apparence des modèles. Et je suis plus intrigué par le visage des femmes que le visage des hommes dans la société coréenne.
Quelle est la règle d’or dans l’art du portrait ?
Je pense qu’un portrait réussi doit exprimer la dualité et l’ambiguïté. Je vis ma vie de la même façon. Ma règle d’or est donc d’être indécis.
Propos recueillis par stiletto.fr
Hein-kuhn Oh, du 29 septembre au 29 octobre 2011 à la galerie in camera
21 rue Las Cases, 75007 Paris. T. : 01 47 05 51 77
www.incamera.fr
Photoquai, 3ème biennale des images du monde, du 13 septembre au 11 novembre 2011 à Paris.
www.photoquai.fr

Ye-ji Jeong, 17 ans, 2003. Série « Actor’s school » Hein-kuhn Oh

Jin-heui Han, 17 ans, 2003. Série “Highschool girls” Hein-kuhn Oh

Hye-ri Jang, 18 ans, 2003. Série « Highschool girls » Hein-kuhn Oh