Urs Fischer: « Il n’y a rien d’autre à retirer de l’art que son propre plaisir. »
Au milieu des années 90, l’artiste suisse Urs Fischer faisait son entrée sur la scène artistique internationale avec d’étranges sculptures en matériaux divers, tour à tour cyniques et sincères, et qui semblaient sur le point de s’effondrer. Alors qu’il présente ce printemps plusieurs événements majeurs, au Palazzo Grassi (Venise) et à la Kunsthalle de Vienne, il inaugure cette semaine une nouvelle exposition à Paris, à la Gagosian Gallery. Visite inédite dans son atelier de Red Hook, à Brooklyn (NY), dans l'objectif de Jean-Christophe Bourcart (Agence Vu).
Vous êtes photographe de formation. Une grande partie de votre travail semble reposer sur l’image.
Oui et non. De quel type d’images parlons-nous ? Par exemple, j’ai eu beaucoup de mal à trouver une image pour l’affiche de ma prochaine exposition à Vienne. Je n’ai trouvé qu’un travail ancien qui aurait pu convenir pour une affiche. Le reste n’était pas assez graphique. Certaines sculptures n’existent pas tant que vous ne les avez pas vues de vos propres yeux. Bien qu’aujourd’hui, nous pensions probablement plus par images…
On évoque souvent les fortes sommes d’argent qui sont parfois nécessaires pour vous produire, comme votre excavation dans la galerie Gavin Brown en 2007. L’histoire de ces œuvres suscite ce genre de réflexions car elle implique une outrance dans l’exécution.
Heureusement que quelqu’un était prêt à payer pour cette folie d’excavation. Oui, c’est peut-être symptomatique de certaines choses, mais ça s’arrête là. Si l’on veut appliquer une vision conformiste et littérale à tout ce que l’on voit, pourquoi alors prendre la peine de regarder ? Pour moi, ce raisonnement n’a aucun intérêt. Je me sens davantage soumis aux mystères de la vie, au sens de la fiction. Si vous regardez l’art de la Renaissance, des fortunes étaient dépensées, et ces œuvres sont restées magnifiques. Les artistes de la Renaissance étaient très ambitieux et se concurrençaient entre eux, et les gens admiraient ce qu’ils faisaient. Je vais vous confier ce que j’ai essayé de faire avec ma dernière exposition au New Museum : j’ai voulu qu’elle porte en elle la propreté et le dépouillement du futur plutôt que le sentiment du présent. Je n’ai pas essayé de faire une exposition divertissante.
Qu’avez-vous prévu pour votre exposition à Venise, au Palazzo Grassi?
D’anciens travaux principalement, et quelques nouvelles créations. Nous exposerons des travaux que j’ai réalisés l’été dernier à Glasgow avec mon ami Georg Herold. Nous avons transformé la galerie en atelier et créé des sculptures en argile avec des modèles de l’école des beaux-arts qui ont posé pour nous. Une fois l’exposition terminée, nous les avons fondues en bronze en conservant toutes les parties coupées ou cassées, là où l’argile s’était effritée. Quand ce travail sera exposé à Venise, un modèle nu sera présent en permanence. Les sofas sur lesquels les modèles étaient allongés ont également été fondus, en métal cette fois, et repeints.
Tout sera « dur », excepté cette personne qui sera là. L’idée est de créer une atmosphère avec des éléments qui occupent un espace plutôt qu’une sculpture hermétique – le réel par rapport à la représentation. Une éternelle question résumée tout entière dans une seule pièce.
Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui ne comprennent pas votre œuvre?
Une chose oui. J’ai appris à aimer l’art, et je l’ai appris en cherchant ce qui me parle plutôt qu’en réfléchissant à la façon dont une œuvre pourrait se conformer à une vision ou à un discours. Il n’y a rien d’autre à retirer de l’art que son propre plaisir. C’est quelque chose que j’ai appris assez récemment. Avant, quand j’arpentais les galeries de Chelsea, j’avais tendance à tout détester. Je me posais les éternelles mêmes questions. Maintenant, chaque fois que l’art m’apprend quelque chose d’une façon ou d’une autre, j’essaie de me concentrer sur ce que j’ai appris. Cela demande des concessions : on ne se glisse pas facilement dans un nouvel état d’esprit.
Propos recueillis par Jarrett Earnest
« Madame Fisscher, » Palazzo Grassi, Venice, April 15th – July 15th 2012. www.palazzograssi.it
« Skinny Sunrise, » Kunsthalle Wien, until May 28th 2012. www.kunsthallewien.at
« Beds & Problem Paintings, » Gagosian Gallery, Los Angeles, until April 7th 2012. www.gagosian.com
Courtesy Urs Fischer / Gagosian gallery