MONSIEUR BOILEAU ETES VOUS TOUJOURS LA?

monsieur Boileau

Oui, l’honneur, Valincour, est chéri dans le monde : Chacun, pour l’exalter en paroles abonde ;
A s’en voir revêtu chacun met son bonheur ;
Et tout crie ici-bas : L’honneur ! vive l’honneur ! Entendons discourir, sur les bancs des galères,

Ce forçat abhorré, même de ses confrères ;
Il plaint, par un arrêt injustement donné,

L’honneur en sa personne à ramer condamné :
En un mot, parcourons et la mer et la terre ; Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre, Courtisans, magistrats : chez eux, si je les crois,
L’intérêt ne peut rien, l’honneur seul fait la loi. Cependant, lorsqu’aux yeux leur portant la lanterne, J’examine au grand jour l’esprit qui les gouverne,

Je n’aperçois partout que folle ambition,
Faiblesse, iniquité, fourbe, corruption,
Que ridicule orgueil de soi-même idolâtre.
Le monde, à mon avis, est comme un grand théâtre,
Où chacun en public, l’un par l’autre abusé,

Souvent à ce qu’il est joue un rôle opposé.
Tous les jours on y voit, orné d’un faux visage, Impudemment le fou représenter le sage ;
L’ignorant s’ériger en savant fastueux,
Et le plus vil faquin trancher du vertueux.
Mais, quelque fol espoir dont leur orgueil les berce, Bientôt on les connaît, et la vérité perce.

On a beau se farder aux yeux de l’univers :
A la fin sur quelqu’un de nos vices couverts
Le public malin jette un œil inévitable ;

Et bientôt la censure, au regard formidable,
Sait, le crayon en main, marquer nos endroits faux
Et nous développer avec tous nos défauts.
Du mensonge toujours le vrai demeure maître,

Pour paraître honnête homme, en un mot, il faut l’être ; Et jamais, quoi qu’il fasse, un mortel ici-bas
Ne peut aux yeux du monde être ce qu’il n’est pas.
En vain ce misanthrope aux yeux tristes et sombres Veut, par un air riant, en éclaircir les ombres :
Le ris sur son visage est en mauvaise humeur ;
L’agrément fuit ses traits, ses caresses font peur ;
Ses mots les plus flatteurs paraissent des rudesses,
Et la vanité brille en toutes ses bassesses.
Le naturel toujours sort et sait se montrer :

Vainement on l’arrête, on le force à rentrer ;
Il rompt tout, perce tout, et trouve enfin passage.

Versailles sous le sceau de la satire Boileau, Satire XI

En photo, un foulard Arlequin de Marin Montagut, à la boutique du Grand Palais.