ANNE-MARIE CLAIS

«LE SECTEUR DU LUXE SAIT FAIRE ACTE DE CREATION EN S'ELOIGNANT DE L'IMITATION, TOUJOURS FORCEMENT DECEPTIVE…» Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, Anne-Marie Clais, qui vit et travaille à Paris, a fondé BBA (Brand Behavior & Assets) en 1999, société dédiée à l'étude de l'identité des marques et à la traduction en un langage contemporain de leur patrimoine qu'on dit "immatériel". Décryptage des tendances «premium» avec celle dont les analyses et les études d’une finesse incomparable aimantent tous les stratèges du luxe.

La campagne présidentielle a-t-elle une influence sur les prises de décisions stratégiques dans l’univers du luxe ?
Non, en tout cas pour ce que nous observons à travers les domaines d’intervention qui sont ceux de BBA. Dans un secteur dont les enjeux sont aujourd’hui globalisés, ce sont davantage les perspectives économiques qui suscitent l’interrogation ou la réserve. On nous présente parfois l’élection à venir comme celle des «passions françaises», mais le champ stratégique est un terrain d’où la raison ne s’absente pas si souvent… Cela dit, dans un pays où l’engouement pour le débat démocratique est évident, cette échéance permet de remettre sous les projecteurs certains sujets auquel le secteur du luxe est naturellement attaché, comme la valeur du made in France ou encore les enjeux liés aux filières artisanales et au maintient des savoir-faire. Et puis, qu’on le veuille ou non, il y a cette conviction que, quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle en France, le soleil continuera de se lever, et sans doute plus que jamais à l’Est.
Quelles sont les demandes les plus récurrentes depuis le début de l’année 2012 ?
Dans le champ des acquisitions, la fièvre de l’année dernière est retombée et le contexte semble inciter les investisseurs à la prudence. Par ailleurs, dans un secteur du luxe aujourd’hui très consolidé, les « cibles » de qualité sont aussi devenues plus rares. Depuis le début de l’année, nous constatons une hausse des demandes liées à des problématiques de développement. Développement géographique bien sûr, très orienté vers la zone Asie en général et toujours la Chine en particulier. Mais aussi développement appuyé sur des ressorts qu’on cherche originaux, alternatifs en ce sens qu’ils mettent à distance l’illusion des «recettes» ou l’abus du «benchmark». C’est une excellente chose. On s’éloigne de l’imitation, toujours forcément déceptive, pour chercher à forger son propre modèle de développement. Et en cette matière aussi, le secteur du luxe sait faire acte de création…
En quoi et comment internet et les réseaux sociaux pèsent-ils sur l’évolution de votre métier ?
Ils modifient profondément l’accès à l’information, au risque de limiter le « recul » ou la capacité d’analyse. Dans nos métiers, ils sont surtout une source qui rend immédiatement accessible une quantité incroyable de données. Cela constitue à la fois un gain de temps et sa rançon : dans l’univers digital où règne souvent le faux-semblant, une certaine vigilance est de rigueur. Vérifier bien sûr, mais aussi parfois attendre. La stratégie est plutôt affaire de temps long, dans le secteur du luxe sans doute plus qu’ailleurs. Un actif est bien plus qu’un best-seller le temps d’une saison, il dure. D’une certaine façon, le digital a créé une espèce de collision entre temps court et temps long, mais le premier ne doit pas faire oublier le second.