BIJOUX COSMIQUES

 

A la Une, Bracelet Le Gramme www.legramme.com . Ci dessus, boucles d’oreilles « Rose des Vents », Dior Joaillerie. Ci dessous,  bague « Quatre Radiant », de Boucheron 

Des formes pures, affranchies de tout message, de tout artifice décoratif. Des cercles, des planètes à porter qui envoient de la lumière. En 2020, le silence est d’or. Ou plutôt, il se diffuse, solaire, à travers des grigris de pandémie faits pour protéger tout en séduisant. En 1932, en pleine crise économique, Gabrielle Chanel voulait « couvrir les femmes de constellations » et imposa, à travers sa première collection de bijoux de diamants  ses lignes de force, tout en mouvement. En reprenant des motifs d’inspiration néoclassique, comme le ruban et le nœud, elle sut redonner au diamant une forme de modernité, en rupture avec les stylisations pavées et fleuries. Étoiles, astres, lunes et soleils sont déclinés depuis 1992 par Chanel Joaillerie comme des absolus.

C’est bien de ce graphisme dont il est aujourd’hui question dans les collections des joailliers. De la collection  la Rose des Vents de Dior Joaillerie, à Quatre ou Jack de Boucheron, bagues, bracelets, colliers et boucles d’oreilles sont des halos rayonnants. Des mobiles purs qui ne sont pas sans rappeler l’architecture métaphysique de Chirico ou le langage formel du designer italien Ettore Sottsass dont les lignes renvoyaient aux « grandes révolutions cosmiques ». En 2020, des jeunes marques telles que Le Gramme font d’une forme primordiale comme le cercle une signature.  Entre Jem (Jewellery Ethically Minded), et Charlotte Chesnais, la rondeur sidérale vient puiser dans les mythes fondateurs un nouveau souffle de vie et d’espoir.

Les emblèmes de Cartier et de Van Cleef&Arpels

Avec la baisse des ventes de joaillerie cette année, l’époque profite aux icônes, gages de réassurance en période d’incertitude. Le « revenge shopping » qui sévit actuellement en Chine et en Corée du Sud témoigne d’un engouement pour ces collections emblématiques, telles que, chez Van Cleef & Arpels, l’Alhambra (1968) ou Perlée (2008) dont les modèles associent des jeux de reflets à des volumes généreux. Une mise en lumière rendue possible par le « polissage miroir » technique permettant de donner l’illusion d’un ruban d’or, sans charnière visible.

 

BAGUE PERLEE Van Cleef & Arpels

Parmi les grands succès de l’année, on compte Clash de Cartier, dans le sillage de Juste un clou (2012), reprenant les formes du « Nail Bracelet » du designer maison Aldo Cipullo qui disait que « la joaillerie doit dégager de la chaleur ». Cette chaleur, la voici transmise par des bijoux au graphisme de plus en plus astral. « Ce rapport à la géométrie et à l’abstraction fait partie de l’ADN de Cartier, à cette recherche de volumes inhérent à la maison, précise Pierre Rainero, le directeur du style et du patrimoine. Ce pouvoir symbolique agit comme un aimant. En période d’inquiétude, on a besoin de talismans. » Aux trois anneaux de la célèbre bague Trinity, premier bijou de l’histoire conçu sans pierre précieuse (dessiné par Jean Cocteau en 1924 et commercialisé par en 1970), font écho les déclinaisons de la ligne Clash. Un an de développement a été nécessaire pour trouver l’équilibre parfait entre les pyramides et les boules d’or.« 

Bracelet Satellite, Didier Courbot @galerieminimasterpiece 

 

La joaillerie n’a pas de sexe »

Jeu et fonction, sensualité et graphisme, autant de références qui sont aussi au cœur de la démarche de Claire Choisne, directrice artistique de Boucheron depuis neuf ans. « Aujourd’hui, le plus précieux, c’est l’émotion, au-delà de la matière, assure-t-elle. Il est plus facile de faire parler des diamants… » D’où ce travail de recomposition, à partir des archives, dont la ligne Quatre est l’un des emblèmes, avec ses codes (le clou de Paris, le godron, le gros-grain), en version totalement épurée et solaire : « C’est la lumière qui donne l’architecture, le volume. Les bijoux sont des petites sculptures facettées. » Elle ajoute : « Dégenrer la joaillerie est pour moi une obsession. La première étape était de montrer qu’elle pouvait être contemporaine. La deuxième est de montrer qu’elle n’a pas de sexe. »

 

 

Ici et là, on ressent cet appel d’air qui vient démoder toute prétention, toute vanité démonstrative. Joaillerie du monde d’après ? Ou d’aujourd’hui et de toujours ? Une énergie solaire se dégage du bracelet Satellite de Didier Courbot, édité à dix exemplaires (à la galerie Mini Masterpiece). Un double anneau pareil à un mirage qui semble envoyer des bonnes ondes. Depuis le confinement, l’artiste a quitté Paris pour la campagne en bord de mer : « La forme de satellite est apparue, j’ai pensé à Fernand Léger, Calder. Ce bracelet évoque un anneau solaire, les planètes, le ciel, l’immensité autour… On porte un bijou qui vous emmène ailleurs. On passe la main dans quelque chose qui vous centre. Et l’univers vous tourne autour… »

 

Laurence Benaïm