Lyne Cohen-Solal: « Le design nous aide à vivre »
Adjointe au Maire de Paris, chargée du commerce, de l’artisanat et des métiers d’art, Lyne Cohen-Solal considère que la place du design a considérablement évolué ces dernières années, dans le paysage urbain comme dans la sphère privée. De retour du salon du meuble de Milan, elle dévoile ses coups de cœur et ses objets fétiches en matière de décoration.
Quelle impression avez-vous ressentie à Milan cette semaine?
Comme d’habitude, à Milan, ce qui frappe c’est l’effervescence, l’immense nombre des propositions de design augmente chaque année en centre-ville. En plus, à Lambrate, un peu en dehors du centre, on pouvait découvrir des centaines de stands de designers débutants ou confirmés dans une ambiance stimulante mais, je dirais, en même temps assez raisonnable. Le travail était partout présent avec, en plus de ce que cela suppose d’efforts, davantage de raison. Serait-ce la crise économique ? Sans doute, donc, je vous répondrai en utilisant un quasi oxymore, « à Milan, il régnait une sorte d’effervescence raisonnable ». Etait présente aussi la recherche comme le travail formidable de Ron Gilat chez Dilmos autour des formes élémentaires et celui des nombreuses écoles venues du monde entier…
Quels sont vos trois coups de cœur de la semaine?
Difficile de faire un choix tant le nombre des choses exceptionnelles à rencontrer est grand ! Je choisirai donc très subjectivement et sans classement.
Je noterai d’abord la présence de France Design, où, pour la première fois, éditeurs ou designers français, sous la houlette du VIA, se présentaient groupés dans la Via Tortona, haut lieu du Fuori Salone, bonne initiative qui donne visibilité et efficacité à tous.
Je noterai l’installation poétique de Paola Navone qui peuple le jardin botanique de la Brera, de petits personnages tricolores et de lustres monumentaux de Murano…
Je donnerai un coup de chapeau à Baccarat qui, avec Patricia Urquiola tente de casser les codes classiques de la table avec des verres à pieds, couleurs de pastel, réussis à mon avis, destinés à être mélangés pour égayer et moderniser nos festins élégants…
Autre novation à remarquer, la réapparition des paravents comme objets meublants, présents pour structurer l’espace, mais aussi servir de cloison à une penderie chez Martin Margiela, ou de support à une œuvre d’art chez Moroso.
Autre coup de cœur pour le mobilier présenté par Maurizio Galante et Tal Lancman chez Cerutti Balleri, dans une foisonnante reconstitution d’atelier, avec fauteuils, poufs, paravent et chaises recouverts d’un imprimé marbre avec veinures noires sur fond blanc, un aspect minéral, raide et froid mais avec le moelleux, l’accueil et le confort du textile le plus soyeux… étonnant et beau surtout !
Les salons du design se multiplient à Paris. Richesse ou cacophonie?
A Paris, les dix dernières années ont vu s’installer et se développer de très nombreuses vitrines, arriver de nouveaux éditeurs et évènements de design. Indéniablement, Paris se classe désormais parmi les capitales du design dans le Monde. Milan vient d’avoir son 51è Salone di Mobile avec, depuis trente ans, un évènement formidable qui se déroule pendant cinq jours dans la Ville le «Fuori Salone». A Paris, nous pouvons afficher plusieurs dizaines d’évènements de design par an…. Faut-il s’en désoler ou s’en féliciter ? Je dirai que pour les responsables de la Ville, il faut les gérer. Je pense qu’il ne faut pas que Paris cherche à concurrencer Milan…. Les Français n’ont pas la même approche du design que les Italiens, ils l’apprivoisent peu à peu, avec retard vis-à-vis d’autres pays européens. Chaque salon du design parisien a sa spécialité, ils se complètent et participent à la richesse de notre ville. Elle est indéniablement la Ville la plus créative en Europe, avec des écoles exceptionnelles, Boulle, les Arts Décoratifs…celle où la création en mode, design, culture reste une des plus riches et des plus stimulantes. Les maîtres d’art et les créateurs de toutes les disciplines adorent venir créer à Paris, y montrer leurs productions et leurs oeuvres. Profitons-en!
Votre objet fétiche en matière de décoration?
J’aime que la décoration et les meubles m’apportent non seulement un service, pour s’asseoir, manger, éclairer mais aussi des émotions avec des couleurs, des formes belles, un clin d’œil, une allure, une poésie. Je dis souvent que « le design nous aide à vivre ».
Mon premier achat, il y a longtemps, a été la guirlande de Sentou avec ses fleurs multicolores et ses loupiotes en une sarabande joyeuse et coquine dans un intérieur. Je pense aussi à la décoration proposée par Andrée Putman pour les salles de bains avec le carrelage blanc et noir, simple mais d’une grande élégance comme d’un usage pratique. Dans les objets plus récents, le pouf de Maurizio Galante dit « coussin de belle mère », un cactus vert, rond avec des épines, qui me fait sourire car on le touche avant de s’asseoir pour vérifier qu’il ne pique pas…. C’est un meuble petit qui tient sa place …
La lampe absolue à vos yeux ?
Ma lampe préférée, c’est la lampe cobra de Ron Arad. Comme beaucoup d’objets de ce grand designer anglo-israélien, elle est ronde et, en plus, plate et brillante. Quand on l’allume, elle peut se dresser comme un cobra et se diriger vers le point à éclairer avec justesse. C’est un bel outil à apporter la lumière avec élégance et surprise.
L’objet majeur de cette première décennie?
Je dirai que c’est l’objet de design popularisé et facilité par des marques comme Ikea ou Sentou, sans doute la bibliothèque Billy ou la table à tréteaux, qui ont permis à des millions de jeunes d’entrer dans l’achat de design sans se ruiner et de choisir quelque chose de beau et pratique dont ils soient heureux, qui facilite et embellit leur vie quotidienne… avant de trouver et découvrir bien d’autres propositions de design…
Le designer contemporain français que vous admirez le plus aujourd’hui?
Difficile de répondre par un seul nom à cette question sans être injuste ou frustrée… permettez moi de donner plusieurs noms sans hiérarchie, Jean-Louis Fréchin, François Azambourg, Matali Crasset, José Levy, Ionna Vautrin… Pardon à tous les autres que j’aime autant, car comment voulez-vous que je m’arrête ? Ils sont si nombreux et si talentueux autour de nous ! Je les admire et je les remercie tous de leur travail que je sais acharné, ils nous sont tous si précieux dans notre vie personnelle comme collective…