LE DIABLE A PARIS

Le 19 décembre prochain, la maison Cornette de Saint Cyr adjugera cent croquis d’Yves Saint Laurent réalisés en 1961 pour illustrer le livre « le Diable de Paris », édité alors par Jacques Damase. Retour sur l’oeuvre au noir…

A 17 ans, Jacques Damase (1930-2014), a été le plus jeune éditeur de Paris. Art décoratifs, peinture, sculpture, rien n’échappe à l’oeil de cet « artiste en livres », qui a déjà publié Sartre, avec des illustrations de Wols, Jean Louis Barrault, avant de reprendre la revue Labyrinthe (Skira), puis d’ouvrir une galerie rue de Varenne.. En 1961, il fait appel à Yves Saint Laurent pour illustrer un livre pour enfants, le Diable à Paris. Les cent croquis dispersés le 19 décembre prochain par Cornette de Saint Cyr, révèlent les multiples facettes d’un être pour qui l’année 1961 marque une transition.  Transfuge de Dior, il crée au même moment sa maison de haute couture avec Pierre Bergé (le 4 décembre) et réalise les costumes pour le show de Zizi Jeanmaire.

Pour elle, un blouson d’or un soleil en plumes de cygne, un corset de diamants noirs, un pull d’homme. Une robe de mariée qui découvre les jambes. « Ne pas l’embarrasser, l’entraver, la brider, par les carcans et les ficelles d’hier, mais la laisser exploser dans tout son surnaturel », écrit alors Yves Saint Laurent. En décembre, sur la scène de l’Alhambra, Zizi triomphe chaque soir devant 2 400 spectateurs. Jambes gainées de soie noire, escarpins à talons de strass, elle chante Eh l’amour, Mon bonhomme et Toto l’aristo. Dix-huit boys agitent des éventails d’autruche, ce « truc en plumes » qui lui fera parcourir le monde. Pour ces jolis garçons, des maillots noirs, des falzars très jules, très titi qui enlèvent gaiement une chaloupée. Au beau milieu, une apparition surprise déclenche les rires : une femme aux cheveux orange dans une bubble-dress impraticable… Les croquis du Diable amoureux, prolongent ce voyage dans l’irréel, avec plus de noirceur, dans une invitation au bal où le danger, le charme, la féérie et la grâce se mêlent en un étrange ballet d’apparitions. Le rideau de scène suspendu laisse entrevoir des têtes de mort, la mélancolie des personnages est fouettée par la vivacité des figures, au bord du fantastique et de l’henaurme, tour Eiffel girafe, bustier-yeux, éléphant ailé.. La magie est là, aussi puissante qu’elle est restée longtemps occultée par la mode, et bien sûr les costumes de théâtre réalisés par le couturier. A l’époque, la presse applaudit : « Les costumes d’Yves Saint Laurent, souvent noirs, noir fumée, noirs de fond avec des couleurs vives, mates, sont d’un parfait bon goût. Comment croire que ce garçon qui usa tant de tissus chez Dior pour vêtir les femmes de robes monuments, si difficiles à porter, ait su se contenter du métrage mesquin qu’impose la tenue de ces impeccables ballerines. Il faut se faire à cette idée, il vous habille avec un rien», rapporte alors Jean Freustié a propos de la revue de Zizi Jeanmmaire.

Ces croquis sont admirables pour d’autres raisons encore. Au delà du diabolisme inhérent au sujet, Yves Saint Laurent révèle ses parts d’ombre, mais aussi ses inspirations fondamentales, qu’il s’agisse de Christian Bérard, Jean Cocteau, Goya… Encre, lavis, pastels, les techniques employées célèbrent la vivacité d’un trait que les cornes, les ailes de chauves souris, les masques noirs, dramatisent dans un voyage onirique, entre métamorphoses et songes kafkaiesques. Tout est mouvement, tout est vie, tout est drame, tout est rêve. Tout Yves Saint Laurent est déjà dans ces croquis, à découvrir dans le magnifique catalogue édité par la maison de ventes. Yves Saint Laurent continue d’habiller nos rêves.

 

Cornette de Saint Cyr

6 avenue Hoche, 75008 Paris. Tel: 33 1 47 27 11 24

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