Benjamin Sabatier, l’esthétique du labeur

Depuis plus de dix ans, son discours s’inscrit dans un contexte socio-économique, centré autour du thème du travail. Sa première performance, réalisée au Palais de Tokyo, s’intitulait "35 heures de travail". Elle consistait à tailler des crayons sept heures par jour pendant cinq jours. Avec "Hard Work", Benjamin Sabatier expose cette fois à la galerie Jérôme de Noirmont une nouvelle série d’œuvres, 20 installations et sculptures constituées de béton, de briques, et de métal assemblés, poussés, écrasés, déversés. Une façon de mettre la matière au travail, pour s’élever, occuper l’espace, réinvestir le réel. Interview.

Que raconte cette exposition de vous-même?
Cette exposition raconte mon rapport à la matière, au poids des choses. C'est toujours une histoire de rencontre. D'un objet et d'une matière, d'une forme et d'un sens, d'un désir. Mes travaux sont pratiquement toujours issus du même fonctionnement. Deux ou trois matières ou matériaux rentrent en connexion dans un rapport de nécessité les uns par rapport aux autres. Tout ceci est mis en scène, ou plutôt mis en forme, avec des gestes simples, reproductibles, appartenant à tout un chacun. Comme d'ailleurs les matériaux et les objets que j'utilise, qui sont toujours issus de notre univers immédiat, que ce soient des résidus issus de la surproduction ou de la consommation de masse. Cette exposition parle de moi, de nous, du monde dans lequel nous évoluons avec plus au moins d'aisance.

Pouvez-vous décrire votre journée de travail?
La même que beaucoup d'entre nous! Je traite mes emails, écris sur mon travail, passe beaucoup de temps sur mon bureau à dessiner et concevoir des projets de travaux. Les expérimentations matérielles interviennent toujours en dernier. Avant cela je passe par la phase de recherche des meilleurs moyens et outils pour pouvoir produire les différents travaux. Ce qui est peut-être la chose la plus délicate et la plus longue. Du coup, cette dimension est la plus critique, dans ce passage où ce créera l'écart entre mes intentions et le résultat. La dimension créative se trouve ici, dans cette espace indécis d'où la forme plastique va naître.

Dix ans après votre première apparition dans une institution publique, au Palais de Tokyo, de quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui?
Peut-être justement de ce premier travail. N'étant pas performeur je me suis réellement mis en scène… Ce qui m’a appris beaucoup de choses, sur moi-même et sur mes capacités. Je suis fier également du chemin parcouru en toute confiance avec mon galeriste Jérôme de Noirmont. Je me suis toujours senti accompagné, soutenu. Ce qui est très important puisqu'il y a toujours des moments où les choses ont du mal à sortir. Cela me permet, dans ces moments difficiles, de reprendre confiance en moi et en mon travail. Ma famille aussi est très importante dans mon parcours, mes parents et surtout ma femme qui me supporte au quotidien.

Qu’est-ce qu’une œuvre réussie?
Pour moi une œuvre "fonctionne" quand elle arrive à parler avec simplicité de choses compliquées. On pourrait définir cela par le terme de "fulgurance", par quelque chose qui s'impose à soi comme une chose de "naturel". Une œuvre est réussie quand tout ce qui la compose se retrouve nécessaire en son sein. En fait c'est peut-être ce mot de "nécessité" qui est le plus récurrent dans mon travail. Y a-t-il un objet sans lequel vous ne pourriez pas vivre? Non, je ne suis pas matérialiste, rien n'est indispensable en dehors des personnes qui m'entourent. Il y a sûrement des choses auxquelles je tiens particulièrement, mais qui, en y pensant, ne me sont pas indispensables.

Votre dernier « choc » visuel?
Sans hésiter, les retransmissions télévisées du tsunami au Japon.

Votre plus grand rêve aujourd’hui?
Continuer à vivre de mon travail, comme je le fais aujourd'hui, en ayant des désirs toujours renouvelés, et en étant émerveillé des capacités de l'art à enchanter et déconstruire notre quotidien.

Et votre pire cauchemar? Peut-être de perdre la vue. Comment faites-vous pour "prendre de la hauteur"?
Alors là… en essayant peut-être de trouver la bonne distance par rapport aux choses. Ce qui reste extrêmement difficile.

Propos recueillis par K.P.

Benjamin Sabatier, « Hard Work », jusqu’au 12 juillet 2012 à la galerie Jérôme de Noirmont, 38 avenue Matignon, 75008 Paris. « Nocturne Rive Droite », le mercredi 6 juin, de 17h à 23h. www.denoirmont.com  

Sacs II, 2012, bois et béton sur socle en médium peint.
Benjamin Sabatier/courtesy Galerie Jérôme de Noirmont

Etai IV, 2012, pots de peinture en métal, peinture glycérophtalique, résine et étai.
Benjamin Sabatier/courtesy Galerie Jérôme de Noirmont

Briques II, 2012, briques et serre-joints sur socle en medium peint.
Benjamin Sabatier/courtesy Galerie Jérôme de Noirmont