Matali Crasset:  »Le design n’est pas un chemin unique de pensée. La porosité est une richesse. »

Designer hors norme, dont le travail fait exploser les catégories et les frontières, Matali Crasset crée depuis 1991 des objets dans la vie, questionnant le contemporain comme la place de la femme dans la société. Scénographe du salon de Montrouge 2012, elle a multiplié les propositions au salon du meuble de Milan, pour Alessi, Campeggi, Danese ou Nodus. Sa première monographie, "Matali Crasset Works", (Rizzoli New York), est attendue en français en juin, aux éditions Norma. Interview.

Quel est le dernier objet de design que vous vous êtes offert?
Je ne m'offre pas d'objets de design, mon home studio vit au gré des prototypes et des projets que je dessine. J'ai réuni avec mon mari cependant quelques objets de designers que j'aime beaucoup: Nanna Ditzel, Enzo Mari, Bruno Munari, Joe Colombo… qui sont pour moi des jalons d'indépendance et de liberté. Le design n’est pas un chemin unique de pensée. La porosité est une richesse. La vie bourgeoise a défini les espaces en les morcelant selon leur usage, le mobilier et les objets ont suivi ces usages. La vie urbaine et la rareté des espaces n’ont pas permis de remettre en cause ce modèle. Nos vies ont changé, mais la structure mobilière s’est fossilisée. Il y a déjà plus d’un demi-siècle, Nanna et Jorgen Ditzel partageaient déjà cette réflexion: “Un jour, au début de l’année 1952, alors que Jorgen Ditzel et moi étions à notre travail, nous parlions d’éventuelles façons de progresser, loin des conventions. Est-ce qu’un meuble comprenant un canapé et deux fauteuils peut être la finalité de la création d’une ligne de meubles? Nous avons compté le nombre de pieds soutenant les meubles de notre modeste salon et nous sommes arrivés jusqu’à environ 50. Puis nous sommes montés sur la table de la cuisine et là tout semblait complètement différent de ce point de vue-là." Prendre un autre point de vue, faire un pas de côté, voilà ce qui m’intéresse, non pour être décalée mais pour envisager notre relation à l’autre et à l’espace dans sa richesse et sa diversité.

Le projet dont vous êtes la plus fière?
Sans doute le Dar Hi (hôtel à Nefta, en Tunisie, ndlr) ou le Hi hotel (à Nice), car ce sont des projets globaux mêlant graphisme, mobilier, architecture… Ils montrent que le design est au cœur d'une logique de vie. Le projet du Hi hôtel a été une étape importante à plusieurs niveaux: il respire une confiance mutuelle dans la relation avec mes commanditaires, Patrick et Philippe; une imbrication de nos systèmes de pensée qui n’a cessé de se ramifier depuis dix ans maintenant. C’est une complicité intellectuelle toute dévouée à notre hôte qui vient passer quelque temps dans les structures imaginées pour lui, qui répondent à sa curiosité, qui font ressortir le meilleur de chacun. Ces espaces expérimentaux montrent que la vie dans un hôtel est beaucoup plus riche, si l’on dépasse les codes éculés de l’hôtellerie normalisée. L’hôtel est le lieu où la standardisation a été particulièrement forte, avec une norme internationale qui s’est imposée partout. Le Hi hôtel prend position en disant: venez vivre une expérience personnelle. C’est un lieu d’interaction avec les autres, grâce aux espaces communs qui favorisent la rencontre. Le Hi hôtel se nourrit de cette diversité, comme un organisme vivant qui fluctue en fonction de ses habitants et qui s’en nourrit pour évoluer. Le projet de Dar Hi va peut-être plus loin en questionnant la fragilité d'un éco-sytème et comment le pérenniser. Le pari est ambitieux, mais le challenge passionnant.

L’objet sans lequel vous ne pourriez pas vivre?
Je ne parlerai pas d'objet mais plutôt de la couleur, car la couleur c'est la vie.

Votre dernier choc visuel?
L'exposition de Gabriel Serra et Jorge Pedro Nunez à la galerie Crèvecœur.

Ou vous imaginez-vous dans dix ans?
Au même endroit, j'espère, dans mon île à Belleville. Avec la même qualité de projets, j'espère pouvoir susciter cette curiosité et ces rencontres.

Comment faites-vous pour prendre de la hauteur?
Je m’assieds à ma table, seule, avec pour compagnon une tasse de café, un carnet à spirales et un feutre noir. C'est tout ce dont j'ai besoin. J’ai souvent expliqué que j’avais des champs dans la tête. Il y a des champs où poussent la même matière, longtemps, d’autres qui sont inaccessibles, ou en jachère. Chaque champ représente un centre d’intérêt que je cultive inconsciemment au quotidien. Les projets réalisés les fertilisent tous.

Propos recueillis par Karine Porret

Salon de Montrouge, jusqu'au 31 mai 2012 Matali Crasset, Works, Rizzoli New York Parution en juin aux éditions Norma   http://www.matalicrasset.com/

Mobilier d’extérieur en pierre Ondulation, pour Pimar Giuseppe Affinito

Bureau modulable Doublesize, pour Danese

Applique Evolute, pour Danese

Assise modulable Sweet Talk and Dream, pour Campeggi

Matali Crasset, Works, 320 pages, Rizzoli New York. Parution en juin en français aux éditions Norma