Drôles de dames
Fantasque et maladroite, Émilienne assiste à la dépression de sa voisine et meilleure amie. Photographe, elle décide de construire une exposition autour de la "femme parfaite", multipliant dès lors les rencontres entre Paris et Venise, d'une veuve de pasteur fascinée par un jeune aveugle à une adolescente championne de skateboard en passant par... Zahia... Avec "Recherche Femme Parfaite", Anne Berest signe aux éditions Grasset une comédie charmante et libératrice. En exclusivité pour StilettoDaily, elle raconte le défilé printemps-été 2016 de Chanel.
Madame voyage seule.
Un foulard de soie est tombé sur le sol de l’aéroport. A qui appartient-il ? A une femme libre, voyageant vers une destination mystérieuse. Trop pressée sans doute, dans sa course vers le ciel, elle n’aura pas remarqué que son carré a quitté son cou. Et le délicat foulard, ainsi abandonné, oublié, délaissé par sa maitresse, provoque comme un accident sur la propreté immaculée du sol. Une tâche bleu marine, rouge lie de vin et blanc crème… c’est sans nul doute une française qui est passée par là. Il ne serait pas étonnant qu’un effluve de N°5 se dégage de son sillage.
L’homme qui se baisse pour ramasser le foulard est entièrement habillé de noir. Le haut col de sa chemise souligne ses gestes altiers, ses mains sont dissimulées par des gants de cuir et ses yeux se dérobent à nous derrière des lunettes noires. Cheveux éclatants d’une blancheur crue, lunaire et nacrée, sa silhouette est connue du monde entier. Cet homme qui recueille le foulard de soie échoué, c’est Karl Lagerfeld.
C’est parce qu’il n’a plus le loisir de se promener ni de rêver dans les aéroports, que le grand Karl a recréé un sous le dôme du Grand Palais son propre aéroport : “I don't star in movies, I am not a famous singer. I have no scandal and yet I cannot go out in public because they all want to take my picture, so it's almost impossible for me to travel through airports.” Confie-t-il après le défilé aux journalistes qui l’interrogent sur le choix de ce thème.
Tout est là, grandeur nature, dans cet « aéroport Paris Cambon » : le ciel immense et bleu qui apparaît derrière les gigantesques baies vitrées, les portes d’embarquements avec leurs tableaux des départs et des arrivées, le bureau d’enregistrement central au nom de la « Chanel Airlines » ainsi que de beaux Stewards, tout prêts à vous aider. On pense à La Jetée, de Chris Marker, l'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance qui se rend à Orly. On pense aussi à Françoise d’Orléac dans La Peau Douce et à Truffaut qui voulait faire un film « indécent, complètement impudique, assez triste, mais très simple ». Car l’aéroport Paris Cambon nous plonge dans un imaginaire de mystère, d’érotisme et de précipitation vers le vertige du danger.
La femme Chanel qui traverse cet aéroport n’est pas accompagnée : libre, indépendante, féminine, elle n’attend pas. Sa valise est toute petite, voire minuscule car elle voyage léger. Cette femme pressée rejoint un amour, un pays, un travail ou l’inconnu. Qu’importe. Son allure vive montre qu’elle n’est pas là pour baguenauder et qu’elle ne besoin de personne pour aller à la rencontre de son destin. Il lui faut un tailleur absolu, sans col, sans bouton et ganse, pour mieux s’envoler délicatement dans les airs. Les matières sont fluides, légères… aériennes. De la soie, du lurex, de l’ottoman, mais aussi des nouveaux denims décorés. On retrouve, dans ces silhouettes de voyageuses, la griffe de Gabrielle Chanel, celle des tenues inspirées des vêtements de sport, des premiers pantalons et des tailleurs avec poches. Une mode faite pour des femmes qui traversent leur vie comme un ciel argenté, toujours en mouvement sur la surface du globe.
Anne Berest, Recherche Femme Parfaite, Grasset, 2015. www.grasset.fr