LES 400 COUPS D’HEDI SLIMANE CHEZ CELINE
Paris était un décor, il a suffi de quelques minutes pour qu'elle redevienne dans nos yeux, une ville, sa ville, la notre. Une première silhouette comme un lâcher de ballons noirs et blancs, son manège à lui, c'est toi, c'est nous, le film commence. Place Vauban, dans la salle plongée dans une pénombre électrique, les images crépitent, comme les teddies de cuir finement cloutés de strass, ces robes d'or arrachées aux bronzes du pont Alexandre III, la nuit. Silhouettes allumettes, noirs de filature, muses argentiques. Coups de ciseaux à vif. Entre mats et brillants, tailles hautes et micro perfectos, les robes s'envolent, battements d'ailes et de pois de soie, d'autres passent en clignotant, rouge néons Duluc berlingots de e strada en apnée.
"Qu'est ce que vous cherchez, monsieur, hein?
Je cherche la bagarre.
La bagarre, c'est pas là, c'est plus loin par là, sur la gauche".
Antoine Doisnel, in Domicile Conjugal, François Truffaut.
Comme René Crevel, Hedi Slimane semble dire: "Au revenant, j'oppose le devenant". Tout bouge, tout est là, à fleur de nerfs, les roseaux sauvages de cuir et les smokings effilés comme un trait d'eye liner sur les paupières d'Edwige, avec lui les garçons s'appellent Françoise et les filles Jules ou Jim, Hedi Slimane n'a pas d'âge, il a celui du temps, il a celui des souvenirs neufs qui se remettent à se déhancher, à entrer dans la danse, comme les spectateurs d'Ohad Naharin invités à se produire sur la scène de l'Opéra de Paris. Au début, comme à la fin, les tambours de la Garde Républicaine battent la mesure des "Retraites Françaises". Ces fragments sonores réinitialisent sur un tempo existentialiste, la partition de la mode, sa grammaire tailleur. Une histoire de coupe que chahutent les elfes du Palace et des Bains Douches, l'âme d'un Pacadis, "le reporter de l'underground", dont Hedi Slimane effeuille les visions, sans nostalgie.. Avec ses nouvelles nuits de la pleine lune. Sa bohême chic, ses anges ska, cyber zazous en pardessus panthère façon Sagan aux cheveux allumettes. Parce que Celine, c'est peut être le Goncourt de la saison. Une chronique de l'amour fou, version "Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l’allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l’étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, un basculement d’une seconde à peine".(1) Celine donc, ça raconte Hedi. Le jardin du Luxembourg et la planète Mars d'une nouvelle sexualité, ni androgyne, ni fatale, amoureuse et sans attache. Libres fantômes un peu déjantés. Du noir et du champagne. Un trait de lipstick, une voilette et des boots de folie pour aller partout en restant singulier, "le corps rebelle au sursaut que l'esprit commande", Crevel, toujours lui. Avec des robes et des costumes faits pour rouler en vespa sur la lune. En sens interdit, Daho en tête. Avec ses "étoiles filantes et nues sans entrave". Oui ce premier défilé Céline est une invitation à se faire beauelle, parce qu'il ressuscite tout ce qui fait de Paris une capitale, tout ce pourquoi nous l'aimons, à la folie. Merci Hedi.
1/ Ca raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard (Editions de Minuit).