Le Songe de Richard Peduzzi

«Imprudences», la collection de meubles réalisés par le scénographe de Patrice Chéreau avec la manufacture Prelle, célèbre l’épure en toute volupté. Dans l’hôtel particulier de la place des Victoires, l’exposition de ces pièces est prolongée jusque fin avril.

En franchissant le porche de cet hôtel particulier dix-septième, chaque visiteur a le sentiment d’entrer dans un décor. Dans cette maison régie par la même famille depuis cinq générations, les livres d’échantillons, autrefois lustrés à la pierre d’agate pour les rendre plus brillants, trônent parmi des milliers de références. Fréquenté plus volontiers par les décorateurs professionnels, le lieu rayonne d’une présence inédite. Sous le titre « Imprudences », la maison Prelle joue la carte de la transgression étudiée : une invitation faite à Richard Peduzzi d’exposer et de mettre en scène sa nouvelle collection de mobilier, réalisée avec les tissus maison. D’emblée, le trait de l’architecte et du scénographe, complice de Patrice Chéreau depuis plus de quarante ans, s’adonne à la volupté des velours de soies, l’austérité d’un bureau de carmélite en fer à béton créé pour la Trinité des Monts tranchant avec une méridienne polychrome capitonnée dans l’esprit d’un Chesterfield. Au dépouillement des chaises en fer à béton, comme des traits de fusain dans l’espace, s’oppose l’éclat précieux des velours aux couleurs d’élixirs. Contrastes entre les lignes et la rondeur, la géométrie et le capitonné. La quintessence d’un goût, d’une vie nourrie par les leçons des maîtres et l’observation, l’idée que l’histoire ne se fait pas à coup de ruptures, mais dans la transmission.
Le style est reconnaissable entre tous, à l’image de ces volumes simplifiés, parfois abstraits, mais également de ces jeux de correspondances illustrés par l’accrochage au Louvre des « Visages et des Corps », en 1910. Madame Récamier s’invite chez les cardinaux, tandis que la Dame aux camélias converse avec des arlequins de velours. Le sofa de Juliette, la chaise de Gerrit Rietvelt, et même un lit Archizoom. Tout parle de mémoire, mais rien n’est reconstitué. La sincérité du sentiment se révèle encore dans cette palette que n’aurait pas reniée Piero della Francesca, tant les rouges orangés de la chapelle Bacci à Arezzo, les bleus et les ocres s’opposent sans se heurter. S’ils s’imposent et surprennent, ces meubles le font sans mettre le visiteur à distance. La force de Richard Peduzzi est justement de ne pas « faire théâtre ». La référence s’efface, pour offrir à chacun le plaisir de la découverte d’un objet à la fois nouveau et familier. À l’image de ces chaises en hêtre au dossier doublement tendu de velours. « Un accrochage réussi, c’est lorsque les gens se sentent chez eux, et qu’ils ont la sensation d’être seuls à voir le tableau, assure Richard Peduzzi. Dans une exposition, l’architecte se retire, on doit l’oublier. Au théâtre, il doit se retirer aussi, mais on doit sentir sa présence. » Avec le mobilier, il apparaît et disparaît, comme dans un songe. L.B.
« Imprudences », de Richard Peduzzi, jusque fin avril 2012.
Prelle, 5, place des Victoires, Paris 1er.
Tél. : 01 42 36 67 21

Richard Peduzzi sur une méridienne à capitons recouverte de velours de soie Prelle. Rémy Lidereau