Abel Ferrara à Paris
Invité d'honneur du Champs Elysées Film Festival, Abel Ferrara suscite toujours la fascination.
À l'époque, en 1981, L'Ange de la Vengeance obtint une nomination au Saturn Award du meilleur film à petit budget, que lui décerna l'honorable Académie des films de science fiction, fantastique et horreur. Maigre honneur pour un film où Ferrara s'impose en majesté. Dans un New York dont il restitue la violence, la peur, la solitude, il offre une interprétation singulière de la mythologie et de Salomé à la tête de Saint-Jean Baptiste. À chacun de puiser dans ce thriller le sens d'un destin, celui d'un talent ou d'un mirage. Tout y est contemporain. D'une incroyable modernité. Zoe Lund, sublime créature échappée d'une photo de Bourdin (et morte d'une overdose en 1999), arpente Manhattan, pour se venger non pas d'un mais de deux viols subis le même jour… Nous ne sommes pas uptown du côté des nantis de Woody Allen, mais avec les junkies et les princes interlopes en limousine, dans les nuits d'effroi de Central Park. À la fin du film, l'ange déguisé en nonne tire sur les hommes, même la queen qui s'est déguisée en mariée. Étrange moment de fiction que la réalité a rattrapé dans l'horreur ce matin à Orlando.
Ferrara est à Paris ces jours ci, invité d'honneur du magnifique Champs Élysées Film Festival. Dimanche, on l'a vu au Balzac, lorsqu'il a raconté avec émotion qu'en 1971, il avait roulé quatre heures en voiture avec des copains pour aller voir le Décameron, projeté dans un trou perdu du Connecticut. En novembre 1975, deux jours après la mort de Pasolini, celui qu'il considère toujours comme son maître, il n'y avait que neuf personnes dans la salle. "Neuf personnes dans une ville de neuf millions d'habitants". En 2016, samedi donc, il n'y avait que 15 personnes dans la salle du Publicis pour L'Ange de la Vengeance, dont Abel Ferrara, qui a remarqué: "cinq sont parties". Le lendemain, la salle était plutôt remplie pour un autre chef d'oeuvre, The King of New York (1990).
Les absents ont toujours tort. La vérité est là, comme un cri, plus fort que tout, que l'audimat, que le nombre de suiveurs qu'il faut avoir pour exister aujourd'hui. Merci à Paris d'offrir le meilleur à travers ses salles noires indépendantes. À travers toutes les possibilités que cette capitale défoncée par le blues continue de proposer, comme si c'était normal, alors que cela ne l'est plus. Un jour, on se souviendra de l'homme à la gueule cassée et aux cheveux gris qui savait dire en rigolant, un dimanche de pluie: "Suivez votre intuition. Suivez votre instinct. L'important c'est de croire, toujours. C'est pour cela que je suis là, et c'est pour cela que j'aime le cinéma. Même lorsqu'on n'a pas le budget pour un film, on réussit à dire ce qu'on voulait dire dans le suivant".
Projection de sa dernière création, Searching for Padre Pio, ce lundi 13 juin à 17h30, Publicis Cinémas, avenue des Champs-Élysées, Paris. Publiciscinemas.com