Robe Gaultier Paris exposée au Musée de l'Armée dans le cadre des "Canons de l'elégance"

EN MODE CAMOUFLAGE

De la rue aux podiums en passant par le musée de l’Armée, de lignes capsules en collectors, parkas, treillis, rangers, bombers passent à l’attaque.

 

Blousons de quart de la Marine Nationale, parka M 65 Us Air Force, marinière bleue US Navy : sur les sites spécialisés en fripes, les prix restent stables, et l’attrait cantonné aux adeptes des militaria. Trop de grades, de fanions, d’insignes. Dans les vitrines des boutiques de luxe, c’est tout le contraire. L’invisibilité tout terrain passe en mode ultra siglée.  Des rangers camouflage de Prada (950 euros) à la « parka swing » à cordon coulissant et capuche repliable de Balenciaga (1950 euros), en passant par la botte en cuir « Rebelle » de Gucci (980 euros), l’art du détournement a pris ses galons pour l’automne-hiver. Depuis, l’armée des incontournables poursuit son l’offensive. Yves Salomon a inauguré pendant la fashion week parisienne son pop up store « YS army », une ligne lancée en 2005 : « au départ, nous avons acheté des stocks de l’armée française que nous avons customisés. C’est devenu un concept, avec soixante modèles féminins et autant de modèles masculins plus dix pour les enfants. Nous travaillons des matières techniques en les mélangeant » Parka à l’extérieur, doudoune à l’intérieur, le souvenir un peu rugueux des paquetages et de la M-51 portée pendant la guerre de Corée puis à Londres par les mods en scooter s’est comme dématérialisé.

Chacun affiche son rang à travers une nouvelle culture de la distinction : celle d’une tenue de combat sauvé par ses vertus utilitaires. En temps de paix, poches-cargo, zips, capuches, stylisent l‘esprit tout terrain auquel les SUV (sport utility vehicle) jouent les faire valoir en ville et en voyage. Dior lance ainsi une ligne capsule ou le camouflage est roi, du coupe vent au trolley cabine en passant par la veste Bar luxueusement brodée de fil coupés façon camouflage (en vente à partir de janvier 2020) . Et le DiorCamp Messenger aux allures de gibecière de en toile kaki, fait partie des meilleures ventes de sac. Prouvant que pour se perpétuer, la tradition peut sortir du rang.

« Nous sortions d’une époque de guerre… » assurait Christian Dior, en 1957. Le créateur du New Look avait «rêvé  de femmes-fleurs, aux épaules douces, aux bustes épanouis, aux tailles fines comme des lianes et aux jupes larges comme des corolles ». Ce sont les mêmes, mais différentes qui portent sous leur jupes transparentes et leur bomber des bottines façon godillots de luxe en gomme brillante.

QUAND LE TRENCH EST ROI

Le vestiaire militaire que Chanel fut la première détourner, en présentant dès 1915 dans sa boutique couture de Biarritz des complets en jersey beige inspirés des vestes de marin, est devenu un classique à facettes. C’est désormais une sorte d’encyclopédie urbaine affranchie de toute référence belliciste ou néo-fétichiste, il est devenu avec Yves Saint Laurent un vestiaire tout court, aussi intemporel que caméléon. Chaque saison honore de ses trophées après la saharienne (portée au départ par l’armée britannique en Inde), le caban (ou pea coat) conçu pour les aspirants de la Royal Navy, et dont l’origine étymologique viendrait du néerlandais « Pijjekker » (« laine grossière), le trench est roi. Il triomphe en mode Parisienne avec le modèle à capuche de Vanessa Seward pour la Redoute (150 euros), une pièce iconique du vestiaire urbain. Celle que les marques ont référencé dans leurs classiques, à l’image de Dior et sa collection « 30 Montaigne » dans laquelle figure le trench doublé de la toile doublure « Oblique » monogrammée. Un trench sans frontière et superstar qu’Ella Fanning sublime en le portant, surdimensionné, -et sans rien en dessous que sa lingerie-dans le dernier film de Woody Allen, Un jour de pluie à New York : au bar du Carlyle, le parfait hommage à Bogart.. Qui se souvient encore que le « manteau de tranchée » aux dix boutons croisés et aux pattes de serrage faites pour accrocher des anneaux, avait été inventé par Thomas Burberry en 1914 pour protéger les officiers des intempéries ?

RENDEZ VOUS AU MUSEE DE L’ARMEE

Si la mémoire flanche, la rue bleue denim et kaki est désormais souveraine. « La tenue militaire a commencé à se fondre dans le décor à partir de la première guerre mondiale. On peut parler d’inversion de prestige » affirme Dominique Prévot, l’un des commissaires de l’exposition « Les Canons de l ‘élégance » qui s’ouvre ces jours-ci au musée de l’Armée à Paris(1). « Par une simplicité affectée, le chef militaire affirme son leadership sans briller. La contre culture des années soixante soixante dix a recyclé les tenues des surplus. Depuis, la tenue militaire, davantage que la tenue de travail, est devenue internationale, l’étendard d’une jeunesse rebelle qui n’en finit pas d’inspirer les créateurs » Mick Jagger en veste de grenadier, Jimmy Hendrix en dolman d’officier, la pochette de Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles, son autant d’images qui ont contribué à faire entrer la tenue de combat dans la pop culture. C’est ainsi que parmi les 230 pièces de l’exposition, un shako de garde d’honneur et un habit rouge de tambour côtoient un duffle coat de Dries Van Noten, une tenue de commando version tailleur de Valérie Garcia, et même la fameuse robe de mariée de la collection Indes Galantes de Jean Paul Gaultier (été 2000) au jupon tout en volants de tulle kaki et beige façon camouflage. Dans le sillage de Patricia Hearst l’héritière cambrioleuse et rebelle en treillis, la bourgeoisie s’empare du vêtement militaire pour mieux le styliser. « On devient l’homme de son uniforme » assurait en visionnaire Napoléon

 

(1) musee-armee.fr, jusqu’ au 26 janvier 2020