NATHALIE RYKIEL L’HOMMAGE AU PERE

Dans « Sam Rykiel » (Stock), la fille de Sonia Rykiel, met en scène un personnage clé, son père, sous la forme d’un nouveau récit autobiographique.

 

Il y a tout juste dix ans, elle signait son premier livre, « Tu seras une femme ma fille »: « J’aimerais tant que tout soit possible. Être fille et ne pas faire souffrir ma mère, être mère et protéger mes filles, être femme et chérir la petite Nathalie en moi…. » En 2020, cette « petite Nathalie » sort de ses gonds, ou plutôt prend la parole d’une manière inédite, pour se raconter à travers l’absent: Sam.

Cinquième opus 

D’emblée, la fille de Sonia Rykiel prévient le lecteur: « Ce n’est pas un livre sur mon père. Ce serait plutôt un livre sur le temps qu’il m’aura fallu pour parler de mon père ». Cinquième opus, ce récit qu’elle publie chez Stock, est sans doute le plus intimiste de tous, le plus dépouillé, il s’est construit, comme elle, sur des failles, sur la difficulté à rendre compte d’une vérité, sans apprêt, sans artifice, et surtout sans mettre sa mère ultra puissante au coeur. Ce faisant, le livre retricote une histoire d’une « main » familiale: en la détricotant, en mettant l’envers à l’endroit, sans bouton, sans col, sans pinces, sans entrave. En faisant plonger le lecteur dans ce qui commence comme un polar (« le dossier Sam »), et se termine comme la confession d’une femme dans la peau de toutes les autres, mère de trois filles, une sexagénaire rive gauche avec ses rides, ses peurs, ses doutes, ses absences, son masque anti-apnée du sommeil pour dormir, ses états d’âme et ses fous rires. « C’est ma vie, la mienne, il y a de la complaisance et de l’acidité, il y a del’amour et du dur, et de la mélancolie, c’est avec elle que j’écris ».

 

Be Beautiful 

Le bureau où elle nous reçoit se situe juste en face de l’immeuble orné d’une plaque  » Ici vécut Sonia Rykiel de 1971 à 2016″. Nathalie Rykiel a épinglé des photos de son père sur un panneau blanc. On pense au mood board d’une créatrice de mode. Au tableau d’un détective privé, digne de l’un de ceux que son père employait pour faire suivre sa mère. Dans cette garçonnière truffée de souvenirs, les coussins de velours noir « Belle en Rykiel » flirtent avec l’imprimé panthère, et même le miroir scintille: « Be Beautiful ». Dans le livre, c’est en metteur en scène habituée à manier les lumières, la musique, autant qu’en fille oubliée, délaissée, que Nathalie Rykiel raconte en clairs obscurs Sam Rykiel, aussi possessif qu’indifférent. « C’était tout ce que je voulais, rien d’autre que d’être dans les bras de mon père, qu’il me fasse une tartine peut être aussi, et protégée, comprise, et consolée ».

Un personnage de roman 

Sur ce panneau, il y a des lettres, des cartes de visite, le numéro d’appel du centre de secours, des faire part, des bouts de papier journal découpé, comme les cours de bourse. C’est le point de départ, la genèse de ce récit, « de la Pologne au prêt à porter, de Lady à Laura » et bien sûr Sonia Rykiel, dont il partage dans l’ombre les initiales. La rousse flamboyante chez laquelle Nathalie Rykiel a fait ses débuts comme mannequin, avant de « toucher à tout », la ligne enfant, les boutiques, les défilés, pour devenir présidente de 1995 à 2012. « Sam Rykiel », n’est en aucun cas une saga. Au fil d’une histoire, le texte explore les zones d’ombre, fait partager la terreur familiale, les yeux brûlés de Jean Philippe, -le frère cadet-, dans la couveuse. En questionnant le passé, elle éclaire une oeuvre: elle rend à ce noir Rykiel comme à ces couleurs électriques leur part de violence, et ces messages de strass, ce braille brodé sur le velours des « poor boy sweater », se décryptent autrement, de l’intérieur.

Nathalie Rykiel dit avoir attendu quarante quatre ans pour écrire ce livre. Assez pour éviter tout règlement de compte. Tout procès à charge. Sam, le géniteur « daltonien », aussi physiquement que nerveusement vulnérable, ne prend ni la figure du monstre ni celui de la victime. Et c’est ce qui en fait un personnage de roman. Mort à 48 ans, il déboule dans le récit comme un extraterrestre ayant fui la Pologne, ivre de tout connaître, fou amoureux de cette femme qui le trompe, mais à laquelle il confirme sans réserve qu’elle peut continuer à utiliser son nom, « dans le cadre de son activité professionnelle ». Le divorce a lieu en janvier 1971, et Sonia Rykiel, la Reine du Tricot prend son envol… Sam, c’est l’homme par lequel Annette Flis devient Sonia Rykiel, une reine parisienne. Le mari amoureux,  l’homme brisé par la naissance d’un fils aveugle, s’est consacré dans l’ombre à éduquer ce dernier, et à mettre en place les statuts de la maison de mode créée en 1968.

L’histoire d’un déclic 

C’est au moment où Nathalie Rykiel, qui dirige la société familiale, comprend qu’elle ne pourra plus prolonger une histoire, et qu’elle décide de vendre l’affaire, qu’un « déclic » a lieu. Nous étions en 2012. Depuis, la société a été liquidée. Puis récemment reprise. En 2020, Nathalie Rykiel continue d’avancer, en jouant avec les frontières du beau et du laid, en mettant en danger son image, en donnant l’impression qu’elle improvise même si tout est maîtrisé, dans un tête à tête avec son frère, qui n’a pas vu. On dirait que le livre a été rédigé pour lui être lu à haute voix. L’écriture est aussi l’occasion d’aller contre. En bousculant les certitudes féministes du moment, en réhabilitant à sa manière le mâle blanc, l’homme sans lequel une légende de la mode n’aurait pu advenir. Et puis ce qui est là, ce qui vit, c’est ce dialogue avec le lecteur apostrophé, en témoin. C’est la manière de continuer à être une femme de mode, tout en affirmant « Les photos tuent les mots ». En trouvant le fil, pour suggérer l’absence. Et ce qui s’appelle l’écriture. « La rencontre de deux solitudes », pour Nathalie Rykiel.

NATHALIE RYKIEL 

4 décembre 1955: naissance à Boulogne Billancourt.

1976: premier défilé en tant que mannequin pour Sonia Rykiel, où elle deviendra directrice artistique, puis présidente jusqu’en 2012.

1983: naissance de la première de ses trois filles.

2010: parution de son premier livre, « Tu seras une femme, ma fille », (Calman Levy)

2020: « Sam Rykiel », Stock. A suivre sur son compte instagram lecture en live quotidienne @nathalierykiel