LE PRET A CONFINER

S’habiller en restant chez soi, sans sombrer dans l’informe… Ou comment se respecter soi même, en attendant la fin de la distanciation sociale. Entre pyjama et jogging le corps se  balance dans un rêve de déconfinement. ( photo ERES 2020 ) 

« Mets de temps en temps ton jean. Le jogging, c’est traître ». Sur what’s app, les conseils fusent. Le corps a ses raisons que le cocooning obligatoire entretient, ou pas. L’absence de frontière entre le jour et la nuit, cette impression d’être chez soi en perpétuel état de somnolence éveillée suscite bien des questions. Comment s’habiller en restant chez soi, sans se déguiser, ni sombrer dans l’informe? Empâtée par les allers retours entre le salon et le réfrigérateur, l’ordinateur et la plaquette de chocolat, la silhouette se floute. En ces temps de confinement, la tendance est au mou, à ce qui cache. Mou comme molleton venu nous rappeler que tout ce qui est boutonné, repassé, risque de ressembler cet automne au corset d’avant 1914: le vestige d’une autre ère. De là, cette nécessité à penser non seulement l’instant, mais celui d’après. A essayer donc de temps en temps son jean, à troquer une chemise contre son tee shirt, à se discipliner, à faire comme si. Sans tomber non plus dans le narcissisme aussi injustifiable que le courriel d’un bureau de presse proposant des tenues « pour saluer les soignants chaque soir au balcon ». Ou les excès de zèle de certaines influenceuses (désormais en chambre) dont les selfies en disent long sur la claustrophobie ambiante: « habillée et nulle part où aller » (@lexiwood), « missing social time » @kyliejenner, attisant plus de 4 millions de likes…

STARS AT HOME 

Nombre d’entre elles s’affichent désormais en tenue de sport ou de fitness, tandis que Naomi Campbell (@naomi) poste une image d’elle en infirmière (défilé Louis Vuitton par Marc Jacobs, été 2008): elle lance un appel aux dons de masques pour les hôpitaux. Et le compte Instagram de @sophiefontanel (204k de followers) est devenu étrangement blanc, comme si le virus avait dissout les habits, redonné

une silhouette aux mots. « Ca fait bizarre de se montrer. C’est comme sortir au grand air. C’est comme inventer une case à l’attestation…. » La tenue (ci dessus) proposée par Eres témoigne aussi d’une envie de bien être corporel.

RESPECT POUR LES AUTRES 

Il y a autre chose qu’une plaisanterie dans le vieux dicton qui fait de l’homme le composé d’une âme, d’un corps et d’un vêtement, assurait le psychologue américain William James. Ce vêtement relégué au monde ancien, celui du paraître,du sortir, des dîners en ville, mérite tout de même un peu d’intérêt. A trop le négliger, c’est soi même qu’on néglige, et sa capacité à trouver, malgré la distanciation sociale, un peu de respect pour les autres. En un mot, se tenir sans se laisser aller. Madame de Montespan avait inventé la « robe battante » pour dissimuler ses grossesses. On l’appela « robe innocente », puis robe de chambre. Mais c’était au temps, où la « chemise de lit » héritée du Moyen Age (dite encore drap de pudeur) ne se confondait pas avec la chemise de jour. La tenue d’intérieur obéissait à des rituels, à une stricte codification des heures.. Celle que le confinement rend si difficile. Ne serait ce que dans l’allure, la démarche: si la savate fait trainer le pas, le chausson l’élève.

CAFETAN OU PYJAMA

Comme réorganiser une vision de soi même? Comment rester élégant chez soi? Ou sentir que son corps gainé par les séances quotidiennes d’abdos fessiers est digne d’accéder aux tenues de Boohoo (ci dessus)  On pourra toujours essayer de retrouver l’allure de Maria Callas dans son cafetan de brocart, celle de Greta Garbo ou Katherine Hepburn dans leur pyjama d’homme (qui fut d’ailleurs au départ un pantalon d’extérieur). La nostalgie a ceci d’inspirant qu’elle fixe non seulement un style, mais un décor, exige une certaine manière de se poser, de s’asseoir, de rester maquillée au lit, d’être coiffée. Le problème, c’est que tous les coiffeurs sont fermés. Et que d’ici quelques semaines 99% des vraies brunes, des vraies blondes, des vraies rousses de la planète auront probablement disparu…

 

Sur les réseaux sociaux, ce sont les icônes qu’on rhabille, telle Mona Lisa avec un des gants et un masque (@minniemuse), ou l’image de la campagne « Just do it » avec une charentaise à la place d’une Nike (@mamouz). La vraie vie semble surgie d’une série….en studio. Les marques de loungewear diversifient leur offre. Ainsi Boohoo propose désormais à côte de ses tenues « casual » une ligne « boohofit », sans oublier le « jogging brunch club… » Il reste que les créateurs de mode ont pris les devants, anticipant un monde à venir, où nos tenues d’intérieur et d’extérieur se superposeront, se métisseront. Dans la nouvelle collection Homewear d’Eres, les caleçons de cachemire et les pyjamas en satin de soie, sont travaillés comme du prêt à porter. Un savoir faire au service d’une sophistication, plus aérée, et sans entrave, rappelant le temps où Gabrielle Chanel apparut, toujours au lendemain de la guerre, en pyjama d’homme sur la plage… Reste cette envie retrouvée d’ampleur, de couleurs, d’imprimés mélangés, à l’image des robes Mul Mul de Michel Klein Mimi Liberté disponibles sur le site de www.montaignemarket.com, ou encore de confort joyeux: en témoigne la collection @pompomParis et ses sweat shirt en « velours de luxe,  » madeleine de Proust à la douceur protectrice de notre enfance réconfortante ». Avec sa ligne « Borderline », Marine Serre, qui propose des postures de yoga sur son compte instagram, donne la mesure de ce changement, d’une révolution douce.

Laurence Benaïm