LE MONDE SELON PAUL SMITH

Au 20 Kean Street, le QG de quatre étages qui abrite le siège londonien de Sir Paul Smith, -anobli par la Reine Elisabeth II en 2000- ressemble à un magasin de jouets. A sa tête, un autodidacte inspiré qui a fait ses débuts dans une petite échoppe de Nottingham, sa ville natale.

« J’ai dit que j’aimais les lapins. Alors j’en reçois plein. Dommage que je n’ai pas parlé de diamants… » Au quatrième étage de cette maison de briques située dans Covent Garden, à Londres, Paul Smith a installé son bureau. Un véritable capharnaüm en apparence, où s’accumulent gadgets, sous marin en métal offert par Jony Ive (Apple), cochon en céramique, (le premier jouet acheté au Japon dans les années quatre vingt), ugly dolls, miniatures de toutes sortes, camions, avions, boites à tout, de tous les temps, en carton, en fer, en plastique, cadeaux reçus du monde entier par des fans.

L’un d’eux lui adresse anonymement depuis quarante ans, des objets, chien de compagnie, étoiles, robots, tous envoyés sans carton d’emballage : on reconnaît l’expéditeur à son écriture. Trois assistantes gèrent ses 600 mails quotidiens et son agenda, un grand cahier Smythson à couverture de crocodile violet, rempli jusqu’en novembre prochain, à l’orée d’une année riche en évènements : 2020 ou les cinquante ans de sa marque désormais diffusée dans 73 pays dans le monde.

La vision d’abord 

Les rétrospectives, ce n’est pas pour lui. Il préfère développer des lignes en partenariat (céramique italienne 1982, lunettes anglaises Cutler & Cross), lancer des collections « capsules » (qu’il s’agisse de smokings pour femme, ou de souliers pour homme tatoués par l’artiste californien Mark Mahoney, avec lequel c’est une ligne sportswear qui sera lancée pour l’été 2020). Une nouvelle lampe pou Anglepoise, des valises de luxe Globe Trotter, une collection de prêt à porter où l’imprimé s’efface pout laisser place à des nuances detox, aquatiques, des roses en color block, avec un étonnant travail de cuir pleine peau, des costumes plus doux que des gants… Tant d’éclectisme pourrait porter à confusion, et pourtant la ligne est là, dominée par une vision, une curiosité qui rend tout possible.

Là où d’autres créateurs collectionnent leurs œuvres dans des bunkers, Paul Smith aimer partager au quotidien ses passions, accrocher ses tableaux, ses photos, ne laisser aucun centimètre carré vide. « Paul is a maniac » : il a fait encadrer le mot de son petit fils, et l’a accroché à l’entrée de son bureau, face à un paravent débordant les cravates multicolores. De retour de Corée dans la nuit, il s’est comme chaque jour levé à 5h pour aller nager, sa routine matinale depuis 1992. Puis il est arrivé au bureau, à 6 heures du matin, a organisé sa journée…Les réunions s’enchaînent autour du seul espace totalement vide : cette longue table au plateau vernis, qui sert à présenter les projets.

Pas moins de douze architectes travaillent au sein du building, tandis que répartis étage par étage, les studio maille, souliers, web et social media, « print », veillent au grain : là on imagine le mur d’une boutique de New York criblée de 52000 timbres, on peint des paysages au pinceau pour les transformer en imprimés, là on part d’une photo prise par Paul Smith au cours de ses voyages pour la faire vivre en sérigraphie sur un teeshirt, une chemise, un sac…

« Je suis définitivement Européen »

Issus du vivier des écoles comme la Saint Martins, le Royal Collège, le Kingston Collège, tous l’appellent « Paul ». Ici, pas de protocole mais des manières, une forme d’éducation respectée à la lettre. Quand on lui demande « Brit ou Europeen, il répond » « A vrai dire je ne me suis jamais posé la question jusqu’à cet horrible Brexit ». Et précise:  » Je suis définitivement Européen. Maintenant que nous en sommes là, nous allons continuer à travailler comme nous l’avons toujours fait. Nous avons affronté des crises, comme en 2008. Ce n’est pas en luttant qu’on va résoudre le problème. »

Indépendant depuis ses débuts, contrôlant sa société à 70%, l’homme inspire à ses collaborateurs un respect sans familiarité. Disque dur en chair et en os plus attaché aux projets qu’à la gloire, Paul Smith raisonne en homme de terrain : « Quelle que soit l’issue, nous devons rester pragmatiques. Je ne me fais pas de souci outre mesure. Notre histoire est une vraie histoire. Nos clients nous soutiennent, parce que nous les considérons tels qu’ils sont, avec de la personnalité, du caractère. Nous ne les couvrons pas de logos. »

C’est en « twistant » les classiques qu’il excelle. Au delà des matières et des coupes rigoureuses, il ensoleille les intemporels du vestiaire contemporain d’attentions signatures, boutons, détails, doublures ; il fait clasher tartans, lignes, fleurs, au fil de tous ses voyages, toutes ses rencontres, de David Bowie à Bruce Weber ou David Bailey. Esthète aventurier, Paul Smith survit parce qu’il s’amuse, connaît chacun ici par son prénom, donnant à son entreprise une allure d’école expérimentale, de factorerie pop. Là où tant d’autres accusent leur âge en voulant rester jeune, il demeure un enfant de 72 ans, toujours « curieux », présence arc en ciel qui détonne dans la

mode.

Avec lui, tout est inspiration.

Il prend tout, ne laisse de côté que l’ennui. Son œil guide sa chasse aux trésors. Epris de Toscane autant que des paysages lunaires du Chili, il continue d’accumuler en live des milliers d’images, en libre service pour son équipe. La qualité principale à ses yeux ? « No ego » répond-il du tac au tac. On a ici l’impression d’être dans un corps vivant, animé par l’énergie communicative d’un homme orchestre en perpétuel mouvement. « Je n’ai pas besoin de rêver puisque je rêve en travaillant ». C’est sur un funambule lancé sur un fil entre deux sommets alpins, qu’il a produit un clip pour promouvoir sa lingerie masculine. Et pour son fameux « Suit Travel in  », il a fait appel a un gymnaste effectuant ciseaux et casse noisettes sur un cheval d’arçon. Costumes qu’on retrouvera d’ailleurs en vente en boutique et en ligne dès le 22 mai prochain, dans la version « Men In Black » dont il habille l’équipe du casting. Il a même un petit rôle de 30 secondes dans le film : réparateur de machines à écrire. Avec lui, rien ne se perd et tout est une promesse nouvelle d’émerveillement. Sous ses cheveux gris, une âme d’enfant. Dandy en costume infroissable et col roulé, Paul Smith est une star pas comme les autres : 600 000 visiteurs ont afflué à Londres, Tokyo, Pékin, Séoul, à l’occasion de son exposition « Hello my name is Paul Smith » : pas une rétrospective, mais plutôt une « installation immersive » avec un parcours en forme de voyage à travers ses collections, ses multiples collaborations toutes initiées par des rencontres, et pas « par des formules ».

Electron libre

Paul Smith aime a répéter qu’il a commencé dans une « boite à chaussures » de 12 m2. Ce qui frappe quand on visite ses boutiques, comme son quartier général de Londres, c’est l’accumulation obsessionnelle d’éléments, rayures, pois, pièces, photos, posters, livres, chaussettes, cadres, boutons (70 000 dans l’exposition du Design Museum), qui font de ce Facteur Cheval du design, un être singulier, un électron aussi libre qu’organisé dans son désordre apparent. Dans la pièce attenante au bureau, la « quiet room » accueille livres d’art, fauteuils, et même une trentaine de bicyclettes, la dernière ayant été offerte par une Russe repartie le jour même…

 

PAUL SMITH IS NOT  ONLY A DESIGNER BUT A TASTE MAKER AND NOT ONLY A GLOBAL GURU BUT A PERSON WHICH HAS KEPT THE MOST PRECIOUS GIFT OF HIS CHILDHOOD: AN EYE. HE HAS  NO RECIPES NO FORMULAS . HE  DRIVES  HIS COMPANY WITH THIS MOTTO :

“EVERYDAY IS A NEW BEGINNING “

« DON’T COUNT THE DAYS MAKE THE DAYS COUNT »

« DON’T CONCENTRATE ON THE LEAVES BUT ON THE ROOTS »