IMANE AYISSI LE COUTURIER CONTEUR

Premier créateur d’Afrique Noire a entrer dans le calendrier de la Chambre Syndicale de la Couture, il présente sa collection ce jeudi 23  janvier à l’hôtel France Amérique, à Paris. Rencontre

 

« Départ au Ciel », le « Baobab », « La voyageuse », tels sont les titres des contes qu’il a rédigés et publiés en 2008 (Les Portes du Soleil). Un nouvel opus devrait voir le jour. prochainement. Comme surgie de ses histoires, la collection qu’il présente le 23 janvier prochain à Paris a pour titre « Richesse ».

Pour Imane Ayissi, « la richesse, c’est autant ce qui brille que ce qui paraît pauvre. C’est d’abord ce à quoi on tient… » Paillettes ou lin artisanal, raphia teint aux couleurs de lipstick ou fleurs découpées, chaque silhouette est une apparition faite pour magnifier une attitude.

Originaire du Cameroun, Imane Ayissi aime mélanger les genres, découper un tissu traditionnel réservé aux pagnes pour en faire une robe bustier, avec des baleines. Son atelier de la rue d’Enghien, est un cabinet de curiosités où les statuettes en pierre Pomdo Kissi de Guinée, se reflètent à l’infini dans le paravent miroir.

Tout autour, entre les machines à coudre Juki, et les photos de modèles épinglés, les souvenirs affluent au milieu des tissus. « J’aime garder, regarder…  »

Le compte a rebours a commencé depuis l’annonce de la nouvelle en décembre dernier : en 2020, Imane Ayissi est le premier créateur d’Afrique Noire, officiellement inscrit dans le calendrier de la chambre Syndicale.

Il compte présenter vingt cinq robes, toutes réalisées manuellement, pièces uniques d’une histoire tissée de sentiments, nourrie de rencontres. Historien de la mode, Jean Marc Chauve a choisi de travailler aux côtés d’Imane Ayissi, pour développer la marque, notamment à travers le prêt à porter. « L’Afrique mérite mieux que les clichés qu’elle projette » assure ce guetteur de mémoire. Il préfère parler du Kente du Ghana, du Ndop bamiléké, des tissus provenant de la Côte d’Ivoire, du Mali, le Faso dan Fani, des tye and die -baptisés au Cameroun « mon mari est capable »– plutôt que du wax, un tissu principalement produit en Hollande et en Chine.

Déplorant la disparition des traditions textiles autant que celle des dialectes, Imane Ayissi a fait de Paris la capitale de tous les voyages imaginaires. Celle où les morts et les vivants échangent des correspondances secrètes, unis par la religion absolue: celle du corps, du maintien, de la fierté d’être, de ne jamais renoncer. Adolescent, il dessinait ses premiers modèles avec des bâtonnets, dans la terre. Et arrachait des racines pour les tresser, en faire un buste. Le défi est là. En 2019, les femmes Herrero de Namibie ont inspiré à Imane Ayissi un défilé d’héroïnes, de maîtresses femmes altières, telles qu’il les adule, citant encore Toni Morrisson, et Fanny Ardant. Restent ceux qui ont donné un sens à sa vie, à ses choix, Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa, Thierry Mugler, Claude Montana, « les architectes du vêtement ».

Fils de boxeur et de la première reine de beauté camerounaise, Imane Ayssi n’omet pas de rappeler que la vraie richesse est de savoir « d’où on vient ». Selon Emmanuelle Courrèges, qui travaille à ses côtés, « Imane Ayissi est un pionnier, il a une vision. Il est aujourd’hui le seul à associer un patrimoine à l’air du temps, à pouvoir rebroder de motifs « Save the planet » ou « Save the forest » des robes dont les motifs s’inspirent des tapisseries Abomey du Benin et des drapeaux Asafo du Ghana. » assure cette ancienne journaliste qui prépare un livre consacré à la mode africaine. Et le couturier de préciser: « Aujourd’hui, nous Africains, sommes responsables, car nous bradons nos biens ». Cette bataille pour l’identité s’enracine dans une histoire, celle qui l’a menée de la danse au mannequinat puis à la mode. « Le passé me porte, m’illumine, me fait avancer ».

On est frappé par son allure, ce port de tête: impossible d’oublier qu’il a fait ses débuts dès neuf ans comme danseur au sein du groupe familial, les Frères Ayissi, dont l’apogée coïncide avec leur apparition lors de la tournée Saga Africa avec Yannick Noah (1992). La même année, il signe sa première collection, « Koué Meutouana (coccinelle), suivie par Bilik, « Héritage », Ongwass (les crevettes), et bien d’autres, avec pour ambassadrices, des personnalités comme Aïssa Maïga, Katoucha N’Diane, la princesse peule, chérie par Yves Saint Laurent. Les années ont passé dans un tourbillon de festivals, de « tendances parties » entre Brazzaville, Dakar, Niamey, Nairobi..

Ambianceur de la tradition, Ayissi fait danser les tissus, comme les mots, les souvenirs, les images qui font rayonner ses idoles, au rythme du balafon et des percussions. Une passion transmise par son grand père, qui lui enseigna ses premiers pas de bikutsi dans le village de Mvog Fouda, près de Yaoundé. Au Palais de l’Unité, sa mère fut élue Miss Cameroun en 1960: » Je me souviens d’elle, quand, hôtesse de l’air, elle fascinait tous ceux qui venaient spécialement à l’aéroport pour la voir. Elle, avec sa toque, ses robes manteaux à huit boutons dorés, ses escarpins. » Cinquième d’une fratrie de dix enfants, (« la moitié sont partis »), Imane Ayissi veille sur son trésor vivant resté à Yaoundé, mais qui ne fera pas le voyage, faute de moyens. « Il y a des gens qui naissent avec une étoile. Ma mère en fait partie. Elle illumine tout ce qu’elle peut porter. Elle a gardé cette aura. » Laurence Benaïm