Christian Lacroix mène la danse

Tulles de soie délicats, brocarts précieux, cristaux Swarovski par centaines, organza vaporeux… Les costumes de scène du créateur à l’imagination foisonnante sont à nouveau sous les feux des projecteurs cet été: ils s’invitent aux côtés des œuvres de Picasso au Musée Réattu d’Arles, et investissent le Centre National du Costume de Scène de Moulins, pour une exposition consacré à La Source, ballet du XIXème siècle ressuscité par Jean-Guillaume Bart sur la scène du Palais Garnier, en automne 2011. Naïla, Nouredda, les elfes et les nymphes… Mises en scène par le couturier lui-même, ces tenues flamboyantes trouvent ici un nouvel écrin.

Quelle fut l’histoire des costumes de «La Source»?
Un jour, entre deux portes, ou deux spectacles, Brigitte Lefèvre me lança ce nom. Celui d’un ballet oublié à ressusciter, un projet encore nébuleux qu’elle avait en tête, à évoquer un jour avec Jean-Guillaume Bart, qui en serait le chorégraphe. Je connaissais Jean-Guillaume pour l’avoir habillé en diamant dans le ballet Joyaux de Balanchine. Pour l’avoir aussi admiré en faune hiératique, à la fois lascif et aristocratique, dans le fameux collant tacheté dessiné par Leon Bakst en 1912. Il m’avait laissé surtout le souvenir d’un humour mordant et d’un esprit caustique qui me plaisaient. Puis Clément Hervieu-Léger, le dramaturge associé à ce projet, nous conta avec vivacité l’intrigue à tiroirs de cet argument rajeuni, revivifié, simplifié, comme s’il s’agissait d’un fait divers contemporain ou de quelque récente romance «people». L’idée de redonner vie à un ballet de 1866 oublié me touche bien plus que l’argument lui même.

Quelle différence entre la réalisation d’un costume de scène et une pièce de prêt-à-porter?
Ce sont là, deux métiers différents, presque opposés: dessiner pour la mode signifie créer un vêtement fait pour être beau isolé et vu de près. Le costume de spectacle, lui, doit parler de loin et participer à l'harmonie d'un ensemble sur la scène. Il faut beaucoup de modestie au théâtre et servir le travail de toute une équipe. Sans le revendiquer, je n'ai jamais dissimulé le côté théâtral de mes collections de couture. Le théâtre a influencé mes collections. Au fur et à mesure de l'oeuvre, j'annote le texte de croquis rapides et improvisés dont les détails et les idées constitueront, après l'étude des personnages et l'échange avec le metteur en scène, les costumes définitifs, non sans l'avoir écouté des heures avant de me lancer, pour m'imprégner de son univers. On peut donc dire que je travaille un peu de la même façon, par strates, le mélange spatio-temporel des inspirations (passé et présent, occident et orient).

Créer un costume implique de respecter un personnage, une œuvre… Voyez-vous cela comme une limite ou une inspiration ?
Il faut accompagner leur mouvement, leur donner à la fois une belle silhouette et des costumes assez amples pour bouger acrobatiquement. Enfin il faut que ces costumes dans lesquels on transpire énormément puissent être nettoyé souvent et sans dommage. La chose primordiale, c'est d'arriver à illustrer l'imaginaire du metteur en scène ou du chorégraphe. Je ne suis pas seul maître à bord, ce n'est pas mon roman ni mon court-métrage, contrairement à ce que je faisais en couture, c'est un travail d'équipe au service d'une vision, celle de celui qui m'a appelé et m'emploie. Ensuite il faut faire beau, pratique, solide. Bref, ce n’est pas une contrainte mais un tremplin. J’aime travailler pour un cadre précis, avec des indications serrées presque drastiques, on n’en est que plus aiguillonné.

Exposition «Christian Lacroix, La Source et le Ballet de l’Opéra de Paris» jusqu’au 31 décembre 2012 au Centre National du Costume de Scène, quartier Villars, route de Montilly, Moulins (03). www.cncs.fr Exposition «Christian Lacroix et les Picasso d’Arles» jusqu’au 30 décembre 2012 au Musée Réattu, 10 rue du Grand Prieuré, Arles (13). http://www.museereattu.arles.fr  

Elaboration des coiffes des Odalisques dans les ateliers modiste de l’Opéra Garnier. Anne Deniau.

Séance d’essai pour Karl Paquette dans son costume de Djemil en présence de Christian Lacroix. Anne Deniau.