Elisabeth Ponsolle des Portes:  »Promouvoir l’émerveillement pour combattre la crise d’identité française »

Le 30 mai prochain, une campagne de 10 000 affiches sera lancée à l’occasion d’une nouvelle campagne anti-contrefaçon. En exclusivité pour Stiletto, Elisabeth Ponsolle des Portes, présidente du Comité Colbert, revient sur les priorités et les objectifs d’un secteur qui réalise plus de 84% de son chiffre d’affaires à l’export.

Le luxe est il entré en clandestinité depuis le 6 mai 2012 ?
Lorsqu’on pense à la dynamique qui anime ce secteur, il faut le juger à l’aune de la situation internationale. Nous vivons une situation telle que nous ne l’avons pas connue depuis les années 30. Au-delà de la crise économique et sociale qui la frappe, la France est en proie à une véritable crise d’identité, et celle-ci n’a pas attendu les élections pour assombrir l’image du pays. Tout se passe comme si nous étions un peuple qui a perdu confiance et qui a du mal à se projeter dans l’avenir. Plus encore, nous avons du mal à tirer profit de l’héritage du siècle des Lumières, modèle du rayonnement français dans de nombreux domaines, artisanat et culture en tête.
D’où vient cette « fracture » ?
Quand les groupes français affichent des résultats exceptionnels, voire historiques, on s’interroge à communiquer ce type de résultats, alors que le chômage lui ne cesse d’augmenter. Là, ou nous devrions être fiers, et nous réjouir qu’il y ait au moins un secteur qui continue à construire des sites industriels, à les maintenir, à embaucher, il arrive que les marques de luxe soient fustigées. On porte en France un jugement moral sur « les riches » qui sont nos clients en méconnaissant totalement la réalité de la profession. C’est celle d’un secteur structuré par des emplois liés au service et à l’artisanat. Situation d’autant plus regrettable que le luxe est aussi un modèle de développement à long terme : il est clair que face à la Chine et aux pays émergents, notre positionnement doit être celui de la qualité. L’Europe n’aura pas d’avenir industriel sans cette haute valeur ajoutée qui fait partie des valeurs indéracinables du luxe.
Quelles sont les grandes priorités du Comité Colbert ?
Face à un marché français dont la part relative s’amenuise au regard du développement de celui des émergents (il ne représente que 16% du chiffre d’affaires global), notre souci est de renforcer nos positions à l’international tout en réaffirmant une identité française liée à la tradition, au savoir faire, à l’excellence et à la création. L’année 2012 sera notamment marquée par un évènement au Brésil, par le lancement d’une grande campagne anti-contrefaçon en partenariat avec les Douanes Françaises et Jean Claude Decaux, par la valorisation des métiers liés à l’artisanat et au savoir faire, par une importante collaboration avec une école d’art…
Quelles sont vos attentes liées au nouveau Président de la République ?
Nos demandes sont toujours les mêmes vis-à-vis des autorités publiques : nous souhaitons que soit reconnue la contribution les entreprises du Comité Colbert au rayonnement de la France et que des entreprises de ce secteur puissent être associées aux voyages présidentiels. Il serait paradoxal que les commissaires européens nous fassent participer à des missions, et que l’Etat français ne soit pas plus impliqué en termes de reconnaissance.
L’image du Comité Colbert n’est elle pas aujourd’hui anachronique ?
Si la perruque de Colbert est parfois un peu lourde à porter, la pertinence de ses activités prouve le contraire et démontre l’intérêt d’une stratégie collective. Nous avons récemment fait rentrer de jeunes maisons comme Pierre Hardy, Frédéric Malle, Pierre Hermé, Lorenz Baumer au sein du Comité, pour montrer la dynamique créative du luxe français. Nous avons modifié nos statuts et accueilli des membres européens afin de mieux répondre aux enjeux posés désormais par la Commission et le Parlement européens. Nous avons anticipé le développement des marchés émergents en lançant dès 2003 des opérations en Chine, en Inde en Russie, au Moyen Orient. Cela a constitué un effet d’entrainement pour toutes les PME du Comité : ainsi à titre d’exemple entre 2005 et 2010 les maisons du Comité Colbert ont triplé leurs implantations en Chine.
Quelle est votre définition du luxe ?
C’est un concept qui relève de l’intime. Il est soumis au temps et à l’espace, par définition, changeants. Le luxe devient de plus en plus immatériel. La nécessité du luxe, c’est de se rendre aujourd’hui et plus que jamais indispensable, parce qu’il est porteur de rêve. Le luxe est l’âme du réenchantement. Il n’est pas forcément lié à la possession, mais à la possibilité de l’émerveillement. Ce à quoi nous travaillons sans relâche.