Anthony Vaccarello : « Saint Laurent, c’est l’élégance dangereuse »

« Je n’ai pas peur de vieillir. La jeunesse n’est pas une question d’âge, mais d’attitude . Rien n’est beau ou moche en soi. Avoir du style, c’est d’abord se connaître. Etre Saint Laurent , c’est avancer les mains dans les poches.. »

 

Bouquet de roses rouges, serveur en chemise pantalon cravate noirs, enfilade de salons immaculés, et derrière, le grand secret. C’est au 24 rue de l’Université, au premier étage de hôtel particulier Senecterre, qu’Anthony Vaccarello a  préparé  le défilé Saint Laurent du printemps-été 2020. A 37 ans et sous ses airs d’éternel teenager en jean et baskets, le directeur artistique engagé pour succéder à Hedi Slimane en 2016 et renouvelé dans ses fonctions par Kering cette année, affiche une maturité solaire . Une réussite confortée par le succès commercial de la griffe (la deuxième du groupe de luxe en terme de taille et de rentabilité). La croissance annuelle de 25% du chiffre d’affaires, et l’expansion du réseau (une vingtaine de boutiques ouvertes dans le monde chaque année) ne sont pas étrangères à la confiance dont ce transfuge de Fendi et de Versace se sent investi. « Sera t-il à la hauteur ? » se demandaient certaines en 2016 . Ce fils unique né dans une famille modeste à Agrigente a largement fait ses preuves et conquis le marché avec ses robes échancrées al dente , mais aussi ses sacs, ses baskets, et tout l’univers qu’il défend derrière une griffe : « Saint Laurent, c’est la l’élégance dangereuse. » Il est celui dont Betty Catroux, amie intime d’Yves Saint Laurent, égérie de la campagne publicitaire shootée par David Sims pour le printemps été 2018 assure: « Il m’a captée. Il a tout compris du mystère Saint Laurent ». Rue Saint Honoré, après plus d’un an et demi de travaux, l’ancienne boutique Colette s’est métamorphosée sous sa direction en « Saint Laurent rive droite », un « espace expérimental » doté à l’extérieur d’un petit café sur la rue, premier take away parisien, « pour rester dans le mouvement »  : « j’avais besoin d’excitation et de partager quelque chose d’autre qu’un caban ou une marinière. De rester dans l’esprit du lieu, de la surprise permanente, mais d’une autre façon, plus ancrée dans l’art, l’architecture, moins gadget, plus chic, plus Saint Laurent . C’est un laboratoire » Un espace du même type vient d’être simultanément inauguré à Los Angeles. En vitrine, pas de vêtement, mais un oiseau Sénoufo faisant partie des pièces exposées par la galerie Ratton. A l’intérieur de cet cet aquarium de marbre et de verre, un sac à dos noir connecté et créé en partenariat avec Google, des « lyric speakers » Kotomama, des cadenas cœur, des carnets « Beyond love and Hell », et même des allumettes griffées, les objets les moins chers avec les briquets à 5 euros cohabitant avec des objets d’art (un partenariat avec la White Cube de Londres), des vinyls et des livres vintage de photographes américains (Walker Evans, Garry Winogrand …) des tirages numérotés de Helmut Newton ou Hiro. KateMoss viendra signer son dernier livre le 24, Jurgen Teller le 28.

« Tout le monde se copie. Tout le monde a les mêmes inspirations. J’avais envie de différence et de sincérité, pour montrer tout ce que j’aime, et surtout le faire dans une boutique et pas dans un musée ; il y a un nivellement général du goût, de la connaissance, et c’est ma manière d’attirer un public qui a perdu le lien avec la culture, ne connaît pas l’histoire de cette maison. » Cette histoire, Vaccarello saison 2 se l’approprie sans familiarité : «Saint Laurent est la plus belle des maisons, celle qui mérite le plus beau des respects . Et puis j’ai toujours été plus observateur que démolisseur ».  Il rêve de travailler avec Godard, Amodovar et assure  : «  La rencontre avec Betty Catroux et Catherine Deneuve m’a aidé à avoir confiance. On se voit beaucoup, on parle beaucoup. Ce sont les dernières déesses du temps. J’aime les personnalités fortes ». Et précise : «Je n’ai pas peur de vieillir. La jeunesse n’est pas une question d’âge, mais d’attitude . Rien n’est beau ou moche en soi. Avoir du style, c’est d’abord se connaître. Etre Saint Laurent , c’est avancer les mains dans les poches, avoir confiance en soi. Ne pas rester au bord de sa vie ». Et de dénoncer les nouvelles entraves à la liberté dans une époque qu’il juge de plus en plus « anxiogène » : « il devient impossible d’avoir un avis contraire à l’opinion générale. Si je ne m’exprime pas politiquement, je préfère faire de la politique en exprimant la liberté à travers des images, des vidéos. On me dit « c’est trop court, c’et trop transparent, je m’en fous. » Je hais ces ce nouveau puritanisme qui juge tout. Je refuse la communication « quota » qui compte le nombre de personnes de couleur dans les défilés. Le problème du racisme et de la misogynie, c’est qu’il est dans l’œil de l’autre, et en tout cas pas mien. Notre époque est minée par une ambiance de chasse aux sorcières. La meilleure façon de me protéger, c’est de continuer à travailler, de m’émerveiller avec les personnes que j’aime. Chez Saint Laurent, il y a comme un combat léger… »

Pour l’été 2020, c’est comme si ce méditerranéen du nord (il est belge) allait puiser au fond de lui même et de ses « collages » expérimentés au studio de création, sa part d’ d’ombre et de lumière : «  Là, je me livre plus » . Il promet sur le podium d’autres personnages en plus des mannequins : «  Saint Laurent doit toucher la femme et pas une femme en particulier ».  Et annonce des apparitions « plus fluides, plus colorées, plus légères » des silhouettes « plus longues » inspirées par celles de Loulou (de la Falaise). Et plus encore, « une Russie décontractée » à l’heure du réchauffement climatique  où l’on retrouverait dans un fondu enchainé de kakis et de gold, de bleus et de verts, de roses et d’oranges ultra pigmentés. « Je ne suis pas dans l’hystérie de la modeJe ne me sens pas en compétition, je suis un interprète ».

 

Laurence Benaïm

www.jdd.fr

photo David Sims

Voir tous les articles