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Frederic Malle, dandy cosmopolite

Il fêtera en 2020 les vingt ans de sa maison d’édition olfactive, créée pour « redonner à la Parfumerie ses lettres de noblesse ». « Rose et cuir », le dernier opus signé  Jean Claude Ellena est une merveille. Portrait à fleur de sens.

Chaque parfum édité par Frédéric Malle est une aventure, une promesse, une invitation au voyage des sens. Musc Ravageur, Portrait of a Lady, NoirÉpices, French Lover, Carnal Flower, The Night, Eau de Magnolia, Lys Méditerranée, Vetiver Extraordinaire. Si Sale Gosse était un « un clin d’oeil à l’innocence enfantine» – dans lequel Fanny Bal mêlait eau de Cologneet Malabar – si Music for a While, évoquait une photographie d’Helmut Newton, Rose et Cuir est une généreuse leçon d’épure, un bouquet floral que vient sublimer la séduction animale d’une peau sensuelle. »je voulais créer pour mon ami Frédéric un Nicolas de Staël en parfum » assure Jean Claude Ellena .

Neveu du réalisateur Louis Malle, petit-fils de Serge Heftler-Louiche – qui a été le premier président de Parfums Christian Dior – et fils de Marie-Christine
Wittgenstein, responsable de la création des parfums Dior jusqu’en 2003,
Frédéric Malle a grandi dans un monde d’images et de senteurs. Des études
d’économie et d’histoire de l’art à la New York University, trois ans dans
une agence de publicité et une formation auprès d’un maître, Jean Amic,
chez Roure, le mènent à voler de ses propres ailes. Ou plutôt, à reconsidérer
le marché de la parfumerie, en donnant à chaque création la dose singulière
qui lui manque. Avec Frédéric Malle qui crée ses propres éditions en 2000, le
« nez » est au coeur d’une histoire construite, flacon après flacon, comme un
roman olfactif. Les auteurs s’appellent Olivia Giacobetti, Jean-Claude Ellena,
Dominique Ropion qui a lui seul signera huit parfums, d’Eau de Cassie
(2000) à Superstitious avec Alber Elbaz (2017)  en passant par l’inoubliable
Eau de Cologne Indélébile « confite dans du musc » (2015). Plus d’une
vingtaine de parfums édités, une ligne de bougies pour la maison, comptent
à l’actif du créateur qui vend sa société à Estée Lauder en 2015 tout en gardant
la direction artistique de la maison.
Héritier de la Café society, Fréderic Malle a le pouvoir de remplir les flacons
de souvenirs qu’il réinvente d’une manière contemporaine, à fleur de peau.
Le dîner de Feu Follet (Louis Malle, 1963), sa mère habillée en Saint Laurent
Rive Gauche, les portraits du salon parental signés Alexandre Serebriakoff,
évoquent « le monde d’où je viens et qui m’a nourri ». Sans oublier les nuits du
Palace et du Studio 54. « Il n’y avait pas de jugement. » Des images encore et
toujours affleurent, là où, comme dans un film, chaque parfum a une « musique
», chaque création rime avec intuition.

Il se souvient : « Mon frère voulait voir Peau d’âne, et moi, Casanova », assure Frédéric Malle, à propos de l’abbé devenu libertin. Chez lui, la précision se mêle à l’art maîtrisé de la séduction, de la plus mentale à la plus charnelle. Son best-seller demeure Portrait of a Lady, au nom emprunté au roman d’Henry James. « Le parfum, portrait de celle qui le porte, dont il révèle la profonde sophistication. Un air de musique imprimé dans les plis de sa longue robede taffetas qu’on entend encore et toujours après un soir à l’opéra. » Mélodies sensuelles, rythmées par des allers-retours entre Paris et New York, le Musée Gustave Moreau et le MoMA, Poussin et l’architecture d’Annabelle Selldorf à laquelle il a confié la réalisation de sa maison de Long Island.

 

Ennemi des convenances, il aime les rituels et défend la tradition, lui le
dandy entre deux mondes. À Manhattan où il habite, il affirme parfois
perdre ses repères : « Trump incarne l’Amérique que je déteste. Une voix
anxiogène. Le côté sombre du continent. Mais l’unanimité contre lui n’est
pas une solution. Cette plainte permanente devient le ronron permanent
auquel je participe et dont il profite. »« Je suis de plusieurs siècles,
de plusieurs générations. Si certaines images sont
démodées, les souvenirs restent »