Fou d’Elsa, par Emmanuelle de Boysson
Présidente du prix de la Closerie des Lilas, elle a écrit "La Revanche de Blanche" (2012) ou "Oublier Marquise" (2013). Son prochain roman, "Le Bonheur en prime", paraît en mai 2014 chez Flammarion. Pour Stiletto, Emmanuelle de Boysson s’est rendue chez Schiaparelli, place Vendôme, pour assister aux derniers préparatifs de la collection Haute Couture printemps-été 2014, aux côtés de son directeur artistique, Marco Zanini. Récit.
Lorsque je suis entrée dans l’ancien hôtel particulier d’Elsa Schiaparelli, 21 place Vendôme, j’imaginais ma grand-mère, Catherine, dans la cage dorée du décor de la boutique d’autrefois, achetant Shocking, le scandaleux flacon en torse de femme, moulé d’après Mae West, dont les effluves embaumaient son salon de velours rouge. Murs verts, palazzo italien, bibliothèques peuplées de souvenirs, croquis et photos : nœuds ou sweaters en trompe-l’œil, robe homard signée Dalí, dessins de Cocteau, chapeau-chaussure, cache-col, poches-tiroirs, jupe-culotte, lignes gratte-ciel… tout est couleur, excentricité, luxe, humour et audace dans l’univers de la créatrice romaine qui aimait la correspondance entre les arts.
Soixante ans après la fermeture de la maison, en 1954, Marco Zanini s’est donné pour défi de ressusciter l’esprit Schiaparelli et de faire à nouveau briller ce nom mythique au firmament de la mode. Un privilège qui impose un haut degré d’exigence et de qualité, reconnaît-il. En pleine effervescence, avant la présentation de sa collection le lundi 20 janvier à l’hôtel d’Évreux, il reste serein, confiant. Dix-neuf modèles pour illustrer les différentes facettes d’une femme légendaire, à la personnalité éclectique. Sans doute s’est-il nourri de l’imaginaire de cette égérie amoureuse des surréalistes, de la commedia dell’arte, du cirque ?
En avant-première, il lève un coin du voile sur un monde réenchanté. Un mariage foisonnant d’imprimés, comme ces feuilles de lierre inspirées de la collection "Païenne" de 1938 (en hommage à Botticelli), de broderies réalisées par Lesage, collaborateur d’Elsa, de bijoux par Gripoix, de volants en cigaline, de soie aussi légère que les ailes d’un ange, de brocards, de paillettes et de plumes. Autant de clins d’œil, de fils rouges reliant l’artiste fantasque et irrévérencieuse qui décomplexa la femme des années trente à celle d’aujourd’hui, libre et légère. Étendard du savoir-faire français, à l’image des tissus imprimés au cadre chez les soyeux de Lyon, la collection Marco Zanini sera à la fois un hommage à Elsa et une création originale et personnelle. Elle donnera le ton à une future ligne prêt-à-couture et accessoires : sacs, chaussures, bijoux, poudriers et… parfums. Et bientôt, comme Marco a repris le flambeau, je retournerai place Vendôme acquérir l’inoubliable Shocking pour l’offrir à ma fille styliste, avant de sortir, drapée dans la nuit tombée, en robe Fruit défendu.