KARL LAGERFELD FOREVER

Depuis mardi 18 février à 12h, la planète est en émoi. Les hommages pleuvent, les images se multiplient. Karl is gone. Karl n’avait pas révolutionné la mode, il avait révolutionné le système de la mode. En inventant son propre personnage. En accélérant le temps au point d’en devenir la marionnette absolue, le clone de nos années digitales et en même temps le dernier encyclopédiste. Homme de la Renaissance et du dix huitième siècle, baroque et visionnaire, il n’échappait qu’à un seul siècle: le dix neuvième, celui de la bourgeoisie, de l’ennui, des conventions, du genre obligatoire. La démesure mesurée était son expression, il donnait du sens à tout ce qu’il touchait, évoquait dans l’esquive, le jeu permanent, le trait d’esprit dont il savait faire un dessin, une photo, un vêtement, un défilé, dans une sorte de réinvention permanente de la vie envisagée comme un théâtre cosmopolite. De ce numéro Spécial Chanel, pour lequel vous aviez photographié Anna Mouglalis, réalisé une incroyable série de mode sur la cinquième avenue à New York, dans un froid polaire qui n’était rien pour vous.  Karl, je me souviens de vous, des croquis que vous nous adressiez, comme autant de messages qui nous protégeaient, nous ravissaient, nous embellissaient. La haute couture et la culture ne faisaient qu’une à travers vous et c’est à Jack Lang que revient sans doute l’un des plus beaux hommages: « Prolixe, génial et hyperactif surdoué, il ne s’arrêtait jamais. Sa créativité comme son érudition étaient inépuisables. Rien n’était trop grand, rien n’était trop beau pour signifier son art même s’il s’est toujours considéré comme un simple artisan. C’était un homme à la culture universelle qui ne cessait jamais d’apprendre. Bibliophile maniaque, tel un ogre gourmet jamais rassasié, il dévorait les mots et se délectait de l’architecture et de la préciosité d’une phrase. Imperturbable caustique, incontrôlable provocateur, Karl Lagerfeld aimait choquer pour faire bouger les lignes. En tacticien minutieux, il voulait imprégner ses visions novatrices de la société. Souvent considéré comme un personnage futile et rétrograde, il était tout le contraire, un être en avance, un visionnaire à l’acuité presque démoniaque. À l’image d’un Saint-Simon, il croquait avec lucidité et sans compromissions ses contemporains sur lesquels il portait un regard distancié d’une sidérante vérité. Le talentueux photographe qu’il était aussi, savait en saisir l’âme et la complexité de la nature humaine. Sa recherche permanente de l’exception et de l’esthétique n’avait jamais de limites. Karl Lagerfeld s’offrait à tout. Sa passion boulimique pour la vie était légendaire à tel point qu’il se disait immortel. Aujourd’hui, il l’est et sa sublime impertinence artistique brillera à tout jamais sur les arts et la mode ».

Photo D.R, chez Colette, Paris, 2005.