LES IDOLES DE CHRISTOPHE HONORE
Traiter la vérité « comme un mystère », et l’Histoire comme un roman: l’extraordinaire performance théâtrale de Christophe Honoré et de ses acteurs met en scène nos années quatre vingt, à l’Odéon, Théâtre de l’Europe. « Le lieu d’une vie revécue ». Des secrets de mémoire.
« C’est le troisième spectacle que je monte au théâtre avec cette méthode d’écriture de plateau que je suis tenté de qualifier de nécromantique : Nouveau Roman, Fin de l’Histoire et cette fois Les Idoles. » Ainsi s’exprime Christophe Honoré à propos de ce spectacle, « Les Idoles », mis en scène au théâtre de l’Europe, l’Odéon. On se retrouve dans cette salle, comme le spectateur de sa propre histoire, avec face à nous, des acteurs incarnant les fantômes de Bernard Marie Koltèes (Youssouf Abi-Ayad), Cyril Collard (Harson Arevalo), Serge Daney (Jean Charles Clichet), Hervé Guibert (Marina Foïs), Jean Luc Lagarde (Julien Honoré), Jacques Demy (Marlène Saldana). Tous les citer parce que tous, chacun à sa manière s’empare d’un rôle, d’un mort donc, non pas pour le ranimer, mais pour en faire surgir l’outre voix, cette musique intérieure qui le fait se raconter, danser, s’échauffer, retomber, souffrir, et dire l’amour à mort, cette maladie qui a fait tomber tant d’êtres autour de nous: le sida. Deux heures trente de ce qui n’appartient à aucun genre mais les attrape tous au col, tant on passe des larmes au burlesque (avec l’Amarcordienne Marlène Saldana), de l’éblouissement des spots à l’ombre des bas fonds. La scène est nue et le spectacle dure deux heures trente. Signes particuliers, deux hommes sont incarnés par deux femmes, on ne parle que de sexe, et curieusement ici, le sexe s’efface, au profit de quelque chose d’autre, ce désir qu’ils et elles investissent de leur corps, de leur souffle, de leur énergie, du sens qu’ils donnent à la métamorphose, de cette possibilité immense qu’offre la scène, en utilisant le mensonge pour dire la vérité. Car comment imaginer Jacques Demy en crêpière sur des escarpins bleus? Et Hervé Guibert avec des cheveux blonds se livrant bataille dans un chignon blond? Rien n’est trivial, et tout est réel. Rien n’est faux et tout est recomposition. Les textes, on les retrouve en lisant les critiques de Serge Daney, les confessions d’Hervé Guibert, l’écrit redevient parole intérieure. On en ressort sonné, abasourdi, tant ce temps décortiqué par Christophe Honoré, revenait hanter le présent qui l’oublie. La vie est là, plus forte que tout, densifiée par l’élocution et les larmes, ce travail de mémoire que les acteurs imposent à ce monde qui a sacrifié l’image au visuel, le militantisme à l’activisme, l’émerveillement au clic. Paris revit, et l’on se souvient du temps où la culture était plus importante que tout, où comme l’explique si bien Christophe Honoré dans son manifeste, « c’était l’époque où je voulais tout ressentir et comprendre, où mes vingt ans réclamaient chaque jour du nouveau: un cinéaste, un romancier, un metteur en scène, un chorégraphe, un photographe…chaque jour des bras où me jeter… » Bien sûr ces dandies rive gauche semblent bien loin de tout ce que le nivellement des consciences abêties par le populisme. Si loin et si près de nous. « Dommage que tu sois mort » chante Brigitte Fontaine. Dans les applaudissements, une voix semble dire heureusement que vous êtes à pour raconter, témoigner, dire l’effroi, la peau qui gratte, le ventre qui gargouille, la maigreur et les taches noires, la jeunesse qui s’abîme dans ces corps de vieillards prématurés. « J’ai constitué autour de moi au fil de ces projets une troupe d’acteurs entraînés à cette méthode. Elle nécessite un très grand investissement de leur part, une invention permanente. Nous débutons les répétitions sans une ligne d’écrite. Chaque comédien travaille dans un premier temps de son côté sur le personnage, lectures personnelles, intuitions, puis au premier jour des répétitions, je partage avec eux ce que j’ai pu moi-même collecter autour d’une suite de sujets. L’idée étant toujours d’interroger des événements ou des existences antérieures, en espérant qu’ils se révèlent intemporels, je fixe comme règle que nous nous devons de traiter la vérité comme un mystère »
Christophe Honoré, Les Idoles, Théâtre de l’Europe-Odéon, jusqu’au 1er février. Représentation supplémentaire le 2 février.