YVES SAINT LAURENT AU ZENITH

A Paris, les deux ventes respectives, celles de la garde robe de Mouna Ayoub, et celle de Catherine Deneuve, réaffirment la force d’un style, et la fascination qu’exerce celui qui se considérait comme « un vieux magicien ». La force d’un style.

1 million de dollars (900 000 euros), tel est le résultat de la vente « Catherine Deneuve Yves Saint Laurent » organisée à Paris par Christie’s le 24 janvier dernier,  l’exposition a attiré 4500 visiteurs pendant les trois jours précédant cette vente. 90% des lots ont été adjugés.  Trois lots ont été préemptés par le musée Saint Laurent..Alors que la  la vente online se poursuit, les chiffres donnent déjà le vertige: 52500 euros pour  un modèle de l’hiver 1977-78. Chez Cornette de Saint Cyr, la veste Iris de Van Gogh a elle atteint 175000 euros, un record pour un vêtement haute couture d’Yves Saint Laurent.

Qu’est ce qu’un vêtement Saint Laurent. « C’est comme une armure légère que l’on enfile sans se poser de questions », dit Catherine Deneuve.. Paris. Saint Laurent. Saint Laurent et Paris. C’est l’histoire d’un monde d’avant Insta et d’avant les datas. Sans bobos mais avec des B.O. Et des femmes parfumées, coiffées, maquillées mais pas fardées, bien épaulées, même quand elles étaient seules. L’épaule Saint Laurent, c’était sa manière de les soutenir, de leur dire, ne vous écroulez pas, je suis là. Pour vous. Saint Laurent. Des larmes sous un masque souriant, aurait dit Gogol. Le Paris d’Yves Saint Laurent, c’est la capitale de tous les ailleurs, ce n’est pas le red carpet des créatures qui se ressemblent toutes à force d’avoir été lissées, uniformisées, c’est le théâtre de la nuit, le velours de la vie.

Que disent ces succès? Ils prouvent que la force d’un style survit à un homme. Que si « le temps est court, l’art est long », ainsi que l’affirmait le Faust de Goethe. Saint Laurent, c’est bien ce mystère qui résiste à toutes les mises en boîte, à toutes les visites organisées, à tous les biopics et à toutes les yeux braqués sur ce corps dont il a été l’apprenti sorcier. Jamais je n’aurais pu imaginer justement que ce passé s’éloignât à ce point, tout en restant si intime, si proche, si vivant. C’était le temps du 5 avenue Marceau, où les Premières s’appelaient Madame, et les clientes, Mademoiselle. On disait Mademoiselle Deneuve, comme on disait Mademoiselle Chanel. On y mourait de quelques millimètres et on y renaissait le temps d’une saison, d’une collection. Le Paris d’Yves Saint Laurent, c’est un coeur qui bat sous des vêtements conçus comme des boucliers. Protéger, révéler, ne pas jouer de mauvais tour. « Une armure légère » donc.       Après le croquis, la toile, c’était le point de départ de tout, et pas cette étoffe numérique, cette immensité virtuelle dans laquelle nous nous perdons un peu plus chaque jour.

Le 23 janvier dernier, j’ai été heureuse de venir parler chez Christie’s du Paris d’Yves Saint Laurent. De sentir tant d’intérêt et d’émotion Lorsque nous avions évoqué avec François de Ricqlès ce sujet, la ville n’avait pas encore été détruite, souillée, abîmée, déchirée tel un vêtement dont on ne veut plus. Je n’avais pas encore lu Sérotonine, ce roman dans lequel Houellebecq évoque page 324 la Parisienne « chic et sexy » comme « un mythe sans consistance », mais c’était comme si. Nous étions passés de l’autre côté, celui de la colère et de l’oubli, de l’indifférence et de la haine. « L’héritage tient à ce que nous aimons », dit Christophe Honoré, dans les Idoles, actuellement à l’Odéon, une pièce animée par la même mélancolie joyeuse de ce moment, de ce passé retrouvé. Saris de mousseline et plumes de marabout. Soir long pailletée de noir. Laine grise et python noir. L’occasion m’a été donnée de célébrer à travers les quelques 340 lots vendus par Catherine Deneuve, ce qui les enveloppe, se glisse à l’intérieur. L’âme de ces visiteurs du jour et du soir. Je vais tenter de vous les raconter avec ce que j’ai de si précieux : l’amour de Monsieur Saint Laurent, qui a fait de cette ville bien plus qu’un parfum. Une attitude. Une expression. Paris. Le luxe de la différence.

 

 

 

photo Pierre Boulat