Yasmine Hamdan: « J’ai peut-être un rôle de passeur, je ramène les chansons du passé au présent, avec respect. »

Elle sortait il y a trois ans un album, en duo avec Mirwaïs, sous le nom Y.A.S. Auteur, compositeur et interprète, originaire de Beyrouth, Yasmine Hamdan défend aujourd’hui un projet en solo, qui porte son nom, portée par sa voix vibrante, presque liquide. Un voyage dans l’Orient des années cinquante et soixante, celui des grandes productions, enregistrées à Beyrouth, au Caire, en Irak ou au Koweit. Des titres qu’elle a dénichés dans sa propre collection de disques oubliés, des mélodies dont elle s’empare, qu’elle répète et qu’elle étire jusqu’à en obtenir quelque chose de parfaitement moderne. Entretien.

Comment est né ce projet?
J’avais déjà commencé à travailler sur certaines chansons pendant que je faisais la promo pour mon album précédent, Y.A.S. J’avais envie de revenir vers quelque chose de plus acoustique, de travailler sur des morceaux où la voix serait au centre, avec de fortes mélodies et des chœurs. J’ai passé 3 mois aux Etats Unis l’année dernière, avec des musiciens et musiciennes, j’en suis revenue avec pleins d’envies. Cela m’a beaucoup ouvert les oreilles.
Dans quelle mesure cet album est-il plus personnel que le précédent?
J’ai suivi mes intuitions. Marc Collin (avec qui j’ai fait cet album) avait la sensibilité, le talent et la réceptivité nécessaire pour m’aider à pousser dans les directions que je proposais. Je travaille de manière assez «bordélique», mais en même temps très libre. Je sais ce que je n’aime pas d’abord. Je découvre ensuite, en tâtonnant et en collaborant, là où le morceau a naturellement besoin d’aller. J’ai voulu dans cet album mettre en avant les mélodies, avoir une musique au service de la voix. Marc a un vrai talent pour assimiler les envies des artistes tout en restant extrêmement créatif et ouvert au dialogue. Il a une grande curiosité musicale, il est épanoui dans ce qu’il fait et cela est très inspirant. Nous avons essayé des choses, nous n’avions aucune contrainte (de single, de formatage). Nous savions aussi que ce que nous faisions ne ressemblait à rien : nous étions donc assez libres au final.
Comment vous êtes-vous emparé de ces morceaux traditionnels, d’Omar El Zenne, d’Aisha El Marta? S’agit-il de reprises? de souvenirs?
Certaines de ces chansons sont des souvenirs d’enfance, surtout les chansons koweitiennes. Quand je les ai retrouvées sur internet, j’ai senti que j’étais tombée sur une mine d’or. Je collectionne depuis des années des vieux morceaux arabes, je m’intéresse à tous les genres ou styles musicaux de la région. Je suis régulièrement en recherche, cela me nourrit. J’adore dénicher des artistes ou des chansons peu connus, oubliés, politiques, érotiques, de l’époque…
Ensuite, je choisis certaines chansons quand je sens qu’elles peuvent m’appartenir. Je les kidnappe en quelque sorte. Je me donne la liberté de les ancrer dans le contexte actuel, mon présent, mes envies, mes influences musicales. Je les transforme, change les structures, retravaille parfois les mélodies. Ce sont souvent des morceaux traditionnels, donc dans le domaine public. En fait, j’ai peut être un peu un rôle de « passeur », je ramène les chansons du passé à un présent, je le fais avec respect tout en exerçant ma liberté d’artiste.
Si vous deviez exprimer votre émotion du moment par une musique?
En ce moment j’écoute Lee Hazelwood, Barbara, Brassens, et certaines radios indies sur le net.
Le morceau qui vous rappelle votre enfance à Beyrouth?
J’ai toujours eu un rapport à la fois d’étrangeté et de familiarité avec ma ville natale et mon pays. J’ai grandi un peu partout. Mais la voix de Feyrouz a représenté pour moi comme un symbole identitaire. Comme pour beaucoup de gens en exil, elle a assuré un lien, une douceur, une fragilité, une humanité qui faisait chaud au cœur et faisait oublier les atrocités de la guerre. Je pense avoir ressentie ma première émotion musicale en écoutant sa voix, quand ma mère me parlait de son/mon pays que je connaissais peu à ce moment-là.
L’album Yasmine Hamdan, déjà disponible en digital, sort physiquement le 7 mai 2012. Produit par Marc Collin (Kwaidan)