LE PYJAMA SE DECONFINE

Icône du vestiaire, il s’affranchit de la nuit, pour fêter le printemps, du salon à nos sorties réglementées .   

 

Sleepwear, easywear…Les saisons passent, le cooconing s’installe… En ces temps de confinement, le vêtement d’intérieur tire son épingle du jeu avec éclat .«On l’a vu immédiatement sur les ventes », assure Sybille Darricarrère Lunel, directrice des achats mode Femme des Galeries Lafayette qui note un envol de 50% des ventes sur le jogging : « la plus grosse progression, avec celle des sweat-shirts et …du pyjama ». Bien réveillé, l’aïeul.  Il triomphe dans les collections du printemps été prochain, passant sans transition du feu de cheminée aux terrasses espérées, emblème de la décontraction universelle et stylée. De Chanel à Louis Vuitton et Hermès, une allure sport chic héritée des années trente dont le pantalon large, la chemise flottante, sont les ambassadeurs. Le voici, « Easy lazy » en soie imprimée de dessins d’artistes choisis par Alber Elbaz (AZ Factory), (en photo ci dessus) ou version tailleur XL souple chez Schiaparelli. « Du plus accessible au plus luxueux, de la cliente la plus cool qui veut un gros logo, à celle qui préfère la soie et la dentelle, le pyjama est devenu un achat mode.

Le pyjama n’est plus le vêtement derrière lequel on se cache, mais bien un signe de style… » précise Sybille Darricarrère Lunel.. Au rendez-vous d’une histoire familiale, la douceur triomphe en mode velours éponge chez Pompon Paris (créée par Lola Rykiel, la petite fille de Sonia Rykiel), ou en popeline rayée (Prune Goldschmidt, issue d’une famille d’industriels textiles du Nord). Le pyjama inspire les jeunes marques, comme celle d’Atlantique Ascoli (fille d’Emmanuelle Khanh), attentive à recréer dans ses blouses néo-victoriennes, un esprit « dedans dehors » : « Le pyjama, c’est une bibliothèque de sensations, de souvenirs. Avec un pyjama, on est dans un moment intime, un moment à soi. On retrouve à travers lui un sentiment rassurant de lenteur… ». Avec « Dior chez moi », en soie, en flanelle imprimé toile de Jouy, le pyjama devient même le héros d’une collection à part entière, lancée  AZ FACTORY par Alber Elbaz

en 2020 : « Hier, la séduction était tournée vers les autres. C’est est une affaire de confiance en soi. Le pyjama nous permet de retrouver cette notion tactile. Il y a désormais un sens plus important que la vue : le toucher. » assure Marie Grazia Chiuri, directrice artistique du prêt à porter et de la haute couture de Dior.

De son nom originaire d’Inde, (« pajama » en hindi, avec des origines persanes, « payama » pour signifier « habiller les jambes), il consacre à nouveau une allure. Le pyjama, c’est l’affranchi du vestiaire masculin. Le passager de la nuit, désormais modulable, parmi les best sellers de la marque Hanro, où l’on parle de « Sleep and lounge collection ».

Le pyjama, c’est le déserteur fashionable, à la fois singulier et toujours en métamorphose.  « Avec le confinement, le regard sur le pyjama s’est modifié. Les clientes plébiscitent les produits « doudous » consolateurs. Le côté sobre et dépouillé du pyjama s’adapte à cette sobriété dans l’élégance », relève Marie Hélène Boffa, à la tête de la société Laurence Tavernier, créée en 1985, par une styliste (sœur du cinéaste), qui ne trouvait aucun vêtement de nuit, ni à sa taille, ni à son goût. Trop de frou frous à ses yeux. Elle fut l’une des premières à détourner le pyjama pour homme, à proposer des liquettes, des peignoirs masculins pour les femmes. Popularisant ce qu’une griffe comme la maison Charvet, plus vieux chemisier parisien (1838), conçoit et fabrique, avec le même savoir-faire artisanal depuis…1838 : modèles en prêt à porter, en demi-mesure, et même en sur mesure, toutes les personnalisations étant possibles, de la taille des poches à la forme du col. En pionnière, Gabrielle Chanel, fut la première à l’aérer, en étrennant ses pyjamas  Charvet à Deauville. Charvet, une maison dont le flacon d’eau de Cologne prisé par son amant Boy Capel, l’inspirera pour son fameux Chanel n°5 (1921).Le début des années trente, avec Claudette Colbert apparue dans New York Miami (it happened one night), de Frank Capra (1934), émancipe un vêtement longtemps réservé aux hommes, et à l’univers domestique.

Chez Charvet, le renouveau dans la continuité est là. Quatorze pièces pour la veste, cinq pour le pantalon, la construction n’a pas changé depuis 1020, la fabrication exige entre sept à neuf heures de travail. « Un pyjama c’est deux fois plus de temps qu’une chemise, du montage des manches, au pipage, il y a des passages minutieux » relève Anne Marie Colban.  « Depuis le confinement, nous avons de très nombreuses demandes. David Beckham est devenu un grand client. Il y a presque trente ans quand on a commencé à introduire nos pyjamas au Japon, c’était au départ des chefs d’entreprises qui faisaient faire leur check up à l’hôpital et qui recevaient leurs collaborateurs. Avec le pyjama, il y a toujours eu cet aspect, le paradoxe l’idée qu’on est chez soi mais élégant ».

De Cannes à Monaco, la vogue « Pyjamapolis » qui s’empara de la Côte d’Azur au début des années trente, sonnera-t-elle l’issue définitive du bling ?   L’évolution est palpable, témoignant d’une envie dégenrée de bien- être.  « Aujourd’hui on fait un émerisage léger, avec la flanelle de coton, on a l’avantage de la netteté, de la densité de la matière, et de la douceur » note Jean Pierre Colban, qui codirige l’entreprise familiale avec sa sœur Anne-Marie. « On cherche avec la flanelle une sensation de plaisir sans passer par un appauvrissement de la construction. » Un client a commandé douze pyjamas. Un autre, anobli par la Reine, n’a pas hésisté à demander de faire broder « don’t disturb the Knight » sur son modèle. Un couple choisit les mêmes tissus pour le mari et la femme : « afin que la gouvernante ne s’emmêle pas les pinceaux, on brode les initiales sur les revers ».

Laurence Benaïm

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