Astier de Villatte, la poésie de l’utile

Plats fleur tropicale ou vaisselle fruits de saison  avec John Derian,  céramiques blanches, tasses bagues, vases main avec Serena Carone, chacune de leur création est un songe épicurien…

 

Anciens étudiants de l’Ecole des Beaux Arts, Benoit Astier de Villatte et Ivan Pericoli ont fait d’une passion une griffe et d’un savoir faire, un emblème. Un atelier de céramiques artisanales à Paris, le seul de son genre, Une imprimerie typographique en banlieue parisienne, la dernière de France (et une des dernières au monde) à imprimer les livres au plomb. Une maison d’édition…Leurs parti pris et leurs  objets « signature » racontent un passé recomposé. Chez Astier de Villatte, vaisselle, bougies, papeterie: comme dans une chambre d’écho les céramiques blanches, assiettes à pétales ou peintes d’oiseaux, Eaux Chics en flacons d’apothicaires, pieds d’Aphrodite ou d’Hermès, médaillons, carnets de songes, fragments de bustes moulés, tasses « deux mains » calligraphiées par Lou Doillon, tout se répond, sans que rien ne soit vraiment assorti. « Tout a commencé à cause d’un quiproquo » s’amuse Benoit Astier de Villatte, héritier d’une famille de cinq enfants, enfance tradi-bohème rive gauche rue Guynemer, Benoit et son pull marine, le sosie de Melvil Poupaud dans la Grace de Dieu. « Ma grand mère ne traversait jamais la Seine. Elle allait faire son marché avec son fichu. Elle était toujours habillée de la même façon. Plus tard, j’ai appris que c’était un tailleur Chanel ». Celle d’Ivan, une paysanne italienne, pensait, elle, que la viande se transformait en mouches. Elevé à Alicia, dans la campagne romaine, arrivé à Paris à 17 ans, premier Prix de Dessin à l’Institut de France, ce bon vivant n’a pas vraiment non plus le profil d’un entrepreneur. Un père écrivain, une mère photographe-chanteuse, un grand frère pianiste, une soeur mime, un frère peintre, il dit même qu’il est un peu l’oublié de sa famille: « Mes parents ont tracé des chemins pour les quatre autres.. Moi j’étais un peu l’oublié. C’est une chance. Il n’y avait aucune projection ». Leur projet procède de conversations, de digressions et d’envies, de rejets aussi. « Aux Beaux Arts, il était de bon ton de ne pas apprendre à peindre ». Depuis, ce qu’ils dénoncent en douce à travers leur impressionnant inventaire-maison, c’est aussi l’idée que la modernité doit « briser les codes »: « en fait, nous aidons les gens à recoller les morceaux ». La griffe Astier de Villatte, draine derrière elle une armada de parodies made in China. L’esprit demeure, irréductible aux copies, et tout en nuances, en raffinements, en choix: sept « jus » lancés depuis 2006, avec des parfumeurs comme Françoise Caron, créatrice de l’eau d’orange verte chez Hermès. Une bougie Astier de Villatte? C’est une cire 100% sans paraffine ni dérivé issu de la pétrochimie. Une mèche tissée en pur coton, un gobelet en verre soufflé artisanal à l’étiquette imprimée par le dernier typographe de France, un dessin pour chaque lieu (38 au total) d’Alger à Yakushima en passant par Saint Cirq Lapopie: « vapeurs aromatiques zestées de vétiver aux accents fumés ». Le projet s’est clairement matérialisé en une impressionnante leçon de choses qui séduit toutes les générations. « On a vaguement fait une feuille de route… La société s’est structurée pas à pas. » Aujourd’hui Astier de Villatte, ce sont près de 300 points de vente dans le monde, et deux boutiques en propre. Petits, ils rêvaient tous les deux d’aller à Disneyland, la visite interdite. Et Benoit Astier de Villatte se souvient en riant: « Mes parents pouvaient faire une razzia de pantalons de golf dans un stock. L’hiver venait. C’était un traumatisme. Les autres portaient des pantalons patte d’eph. » D’une enfance forgée par mille petites déceptions, ils ont fait une vocation. 2020 marquera les vingt ans de la boutique de la rue Saint Honoré, ancienne adresse de l’orfèvre Biennais, fournisseur de Napoléon 1er, devenue l’antre d’un marchand de couleurs à l’abandon…Ils ont tout gardé, « même la poussière ». Et de préciser: « Notre force, c’est l’observation, se concentrer sur l’ombre du petit bol…. Avant d’être des objets usuels, ces objets sont des objets de nature morte. Une fleur qui cesse d’être belle pour un fleuriste le devient pour un peintre. Rien n’est copie, même si tout donne l’idée du déjà vu. Nos objets sont les fausses antiquités d’un passé qui n’a jamais existé ».

 

Wabi sabi parisien? Le duo bouddhiste a installé ses bureaux et manufacture dans une tour du treizième arrondissement: « Ce n’est pas ce dont on avait rêvé mais on y est bien ». « Ce qui donne à nos objets leur présence, c’est qu’ils sont animés par la main qui les a fait’. La majorité des artisans sont tibétains, certains sont des moines, il arrive que l’un d’entre eux parte pour une retraite de six mois.. Dans l’atelier dirigé par le propre frère de Benoît Astier de Villatte, l’énergie est palpable, et le geste se réinvente avec esprit. Trouver le beau dans l’abandonné et à la manière des artisans japonais, recouvrir d’or les fêlures? Ah, les fameux rouleaux de feuille de terre. Les secrets deviennent formes blanches, mains, compotiers, talismans de maison, dont les aspérités charment la clientèle huppée. Ici les artisans inventent leurs instruments, comme cette boule de tissu remplie de terre pour faire des marques, et tamponner légèrement la céramique. Best seller du moment? La tasse à bague dorée, mug chevalière que signe Serena Carone, une ancienne camarade d’école retrouvée des années plus tard grâce à Dominique Issermann.

 

Derrière la porte de métal, les petits oiseaux ou presque.. Avec Astier de Villatte, on sort d’un décor de Houellebecq, pour se retrouver dans une maison de campagne. Setsuko Klossowski de Rola, veuve du peintre Balthus travaille dans l’atelier qui lui est désormais consacré. A l’heure du déjeuner, on y mange des légumes oubliés en parlant de jardins et de gris quadrichromique, de Langues O (l’école d’Ivan, après le bac) et surtout d’un mentor, le sculpteur Georges Janclos, -neveu de Pierre Jankelowitsch, professeur à l’école des Beaux Arts, dont les personnages en terre grise drapés de linceul, Les Dormeurs d’argile, ont fortement inspiré le duo. Ils viennent de rééditer « Ma Vie à Paris », le seul guide composé au plomb où l’on parle de « couleurs fines », de clinique du rasoir électrique, de cordonneries et même d’un potager royal beatnik. Le duo a inclus dans le coffret 2019 « Ma vie aux Puces ». Chez eux, toute nouveauté semble revenir de loin. « Nous avons la culture du « ramasser » précisent-ils: « Nous avons été élevés comme cela ».