EN MODE DIGITAL

De Dior à Ruby Sterling, les collections de haute couture de l’été 2021 auront bien lieu à Paris mais relayées par des contenus vidéos.

« Des robes du soir contrariées avec de la fibre de jute sur un double gazar satiné…. C’est une collection un peu elliptique. Avec une petite dizaine de modèles. Une césure vagabonde, un ailleurs fantasmé, une errance vers des contrées imaginaires…»  Ainsi parle Christophe Josse couturier parisien entré dans le club parisien de la haute couture il y a dix ans, à propos de sa collection de l’été 2021, présentée sous forme de film, crise sanitaire oblige. Entre le 25 et le 28 janvier, la Fédération Française de la Haute Couture devient à travers sa plateforme numérique l’écrin d’une trentaine de présentations digitales signées par des griffes de légende (Dior, Chanel, Fendi, Armani Privé, Schiaparelli….) autant que par des créateurs plus confidentiels. Le programme est en ligne sur https://fhcm.paris/fr/paris-fashion-week-fr/. Captations de défilés ou vidéos « couture », elles seront relayées, comme en septembre dernier, par de nombreux réseaux et partenaires, (Google, YouTube, Instagram, Facebook, Canal+, The New York Times, The Asahi Shimbun et Hylink (pour les réseaux chinois). « Les maisons sont très présentes.  Les présentations ne remplacent pas les shows, mais c’est un facteur de créativité augmentée. D’autres industries créatives, entre les vidéastes, les cinéastes, sont au rendez-vous. La vie physique va reprendre ses droits, mais cette nouvelle donne virtuelle restera» assure Pascal Morand, président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode : « Cette crise étend le champ de l’expression lié au savoir-faire physique et multidimensionnel. La haute couture peut intégrer la dimension numérique. Plus le monde se digitalise, plus il y a une aspiration au savoir-faire de l’atelier, c’est un besoin sensoriel »

A l’automne 2020, la plateforme PFW a cumulé 230 K visiteurs et 606 K pages vues. Beaucoup de maisons avaient nourri pour cette semaine l’espoir de défilés classiques… Ces rendez-vous attendus correspondaient d’ailleurs à des « premières »  : c’est le cas du prodige Charles de Vilmorin, 24 ans, -qui a lancé sa marque en mars 2020-  et dont le rendez vous digital est fixé mercredi 27 à 18h;  c’est encore celui de Gaultier Paris, avec une collection signée par la japonaise Chitose Abe (Sacaï). Il y a tout juste un an, Jean Paul Gaultier, avait en effet annoncé, que pour continuer à faire vivre sa maison, il  offrirait désormais des cartes blanches à des jeunes créateurs. Le défilé originellement prévu en juillet avait été repoussé en janvier…. Citons encore l’arrivée de Kim Jones (déjà designer de Dior Homme), qui présente le 27 janvier, sa première collection Fendi Couture sous la forme d’une performance installation orchestrée par Alexandre de Betak.

De la contrainte, il a fallu tirer parti de tout. Sur le thème des « Amours », le parisien Alexis Mabille a étendu ses ateliers jusque dans sa boutique de prêt à porter (momentanément fermée). Faire quand même mais faire autrement, pour réaffirmer sa différence. A Moscou, lyana Sergeenko, inspirée par l’artiste russe Erte,  dit soutenir « les techniques folkloriques et locales qui se trouvent dans une situation difficile ».  Le couturier camerounais Imane Ayissi, lui,  n’a jamais oublié que sa première robe, il l’a dessinée dans le sable : « quand on a été habitué à fonctionner avec très peu de choses, ce qui nous reste, c’est l’imagination et la manière dont on va raconter les histoires, montrer les coupes, les couleurs, les formes sur des corps vivants »  Sous le titre « Tseunde », le thème de sa collection de l’été 2021 est celui de l’échange entre la culture européenne, et la culture africaine. Avec des silhouettes boutonnées, et d’autres drapées, « en métamorphose ». Elles seront présentées lors d’une vidéo diffusée le 28 janvier à 15 et le même jour également dans un show room du Marais.  Il reconnait : « Les tissus ont été très difficiles à réaliser, à obtenir. On a travaillé une nouvelle forme de « kente » ghanéen, et des imprimés nigérians. Ma force c’est d’avoir la tête qui voyage tout le temps… …Je reste favorable à l’avenir, l’inquiétude règne, je suis obligé de croire à mon époque avec le sourire. Cette crise a réveillé quelque chose en nous. Les gens ont envie de partager »

Loin des premiers rangs d’hier, ce partage global  s’illumine de désirs, d’envies de réenchantement :« A l’orée d’une semaine entièrement digitale, j’avais envie de réaffirmer mon attachement au savoir-faire, montrer la virtuosité de tous les artisans qui m’entourent, les plumassiers, les brodeurs, les tisseurs qui arrivent à faire des pompons en soie, les souffleurs de verre affirme Christophe Josse. C’est à la Manufacture de Sèvres qu’il a choisi de filmer ses mannequins, un décor en harmonie avec les tissus. « C’est le luxe, l’excellence, ce dont on peut rêver le mieux. J’ai découvert une autre façon d’écrire, de se raconter. A la différence d’un défilé qui est une sorte happening, le film peut jouer dans la subtilité dans la lumière, c’est un exercice exaltant ».  Pascal Morand, qui publie en avril un ouvrage consacré aux avant-gardes viennoises, aime à rappeler cette phrase d’Otto Wagner :  « La nécessité est seule maîtresse de l’art »

Une image d’un modèle brodé de la collection Yves Saint Laurent haute couture été 1971 présentée le 29 janvier 1971.