GIACOMETTI ET BECKETT

« Rater encore. Rater mieux ». C’est le titre de l’exposition et du livre consacrés par l’Institut Giacometti à ce duo d’artistes. Une amitié littéraire entre le plasticien (1901-1966) et l’écrivain (1906-1989), sous le soleil des nuits parisiennes…

D’emblée, le décor est là: un arbre dénudé qu’Alberto Giacometti réalise pour le décor d’En attendant Godot (Odéon, 1961). Pas de feuille, pas de bruit, mais le silence d’une amitié que rien ne semble pouvoir atteindre, ou museler, tant les sentiments demeureront intacts. Ces liens sont aussi forts que les figures de Beckett, comme celles de Giacometti flottent dans l’espace, en suspension au dessus du vide, dans la solitude obsédante de tous les recommencements, de toutes ces figures crayonnées sans fin, dans cette représentation existentialiste de la solitude sublimée par une « Tête sur tige », comme par des mots

« La gravité, Willie, j’ai l’impression qu’elle n’est plus ce qu’elle était, pas toi? Oui, l’impression de plus en plus que si je n’étais tenue de cette façon, je m’en irai tout simplement flotter dans l’azzur. Et qu’un jour peut être la terre va céder, tellement ça tire, oui craquer tout autour et me laisser sortir » (Oh les beaux jours).

C’est un bonheur, de découvrir dans ce musée si intimiste, si propre au recueillement, cette double recherche menée par deux artistes, deux hommes en quête d’infini. Et derrière nos masques, au coeur de cette parenthèse temporelle et spatiale, car le musée est bien sûr fermé, nous sommes là, prodigieusement conquis par ces deux grands silencieux, cette complicité superbement révélée par le commissaire de l’exposition Hugo Daniel, sous la direction de Catherine Grenier. « La sous la boue je me voie (…) c’est ce que j’aime m’en aller comme ça par petits bouts » écrivait Samuel Becket dans l’Image (Editions de Minuit, 1969). Ce même enchantement, on le retrouve dans ce livre où les citations et les oeuvres face à face se réfléchissent les unes dans les autres, comme si entre un buste d’homme sculpté en plâtre, dans ses tremblements, une chambre d’écho se mettait en place. Comme si, entre « les figures qui marchent » de Giacometti, et les « notes de chorégraphie » de Beckett, une même voix s’élevait, primordiale et si nécessaire.

Giacometti Beckett

Rater encore rater mieux. Fage éditions, Institut Giacometti jusqu’au 28 mars 2021 mais l’exposition sera sûrement prolongée, on l’espère.