MODE 2019: L’OEUF DU SERPENT
L’année 2018 aura été marquée par plus de scandales que de tendances. A fleur de nerfs, la mode dynamite sa propre réalité à coup de messages. Revue de tics et de tocs sans carcan. Photo: Marine Serre PE 2019
1/ LA DICTATURE DU ON. On savait le créateur friable, désormais il règne en super héros d’un monde parfait, où la moindre erreur, s’il n‘interagit pas avec sa communauté d’amis, tous issus du meilleur des mondes de la diversité obligatoire, est fatale. Alerte à la prédominance annoncée du mâle blanc, de la race blanche, de tout ce qui de près où de loin, s’impose comme l’avatar de la domination capitaliste et machiste. L’heure est venue de brûler les idoles. Moins on crée, plus on commente. Les chiens de garde veillent, et le succès de Diet Prada en témoigne. La tendance est au bûcher. Ainsi que l’a déjà précisé Rick Owens et son défilé tout feu tout flamme au Musée d’Art moderne de la ville de Paris en septembre dernier. La violence est devenue assez conforme et banale pour que les agences intègrent l’activisme dans leur campagnes. Les équipementiers du sport distribuent leurs sneakers aux jeunes des banlieues qu’ils trouvent « cool ». On n’est jamais assez jeune ni assez cynique pour maintenir sa croissance à deux chiffres.
2/ HALTE AUX DATAS.. La guerre est déclarée. L’heure du « précision advertisement » et des « shadow messages », est bien sur rendue possible par toutes les informations que vous et moi livrez sans vous en rendre compte à des sites, qui revendent celles ci, à l’instar de certaines mascottes de la planète web. La mode défile rythme des algorithmes? Commerce cool d’autant plus redoutable qu’il réduit le champ de la création ou plutôt le soumet à l’ordre du probable, à l’avis quantitativement correct et aux garde robes circonscrites par un mode de vie pré formaté. Horizontalisation du message qui transforme le directeur artistique en une sorte de gestionnaire de linéaires, équipier d’hyper schizo: comment installer le luxe au rayon des promos sans le faire tomber de son piédestal?
3/ PATRIMONIALISATION JUSQU’OU? Gare à l’archivage symptomatique. Il ne guérit pas de l’amnésie. Plus les maisons collectent le passé qu’elles ont trop longtemps négligé, et plus l’écart entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui semble augmenter, tant la fameuse fracture numérique relègue les détenteurs d’un savoir livresque au rangs de dinosaures, face aux elfes digitaux ultra mobiles. Attention à ne pas confondre vitesse et talent, souplesse et valeur, leurre et compétence. L’impatience domine. Les monopoles se sclérosent. La curiosité s’effrite. A ce jour, moins d’une dizaine de créateurs, de photographes, de stylistes monopolisent le marché de la mode et de l’image, laissant à tant d’autres l’impression qu’ils n’y arriveront jamais. Dans le champ déserté de la création aux racines arrachées, les mauvaises herbes prolifèrent.
3/ LA HAINE EST PARMI NOUS. On la croyait réservée aux « autres ». La haine a fait son entrée en mode viral, et les réactions provoquées par le défilé Celine signé Hedi Slimane ont largement révélé l’état nerveux des rédactrices de mode anglo saxonnes qui voient le fantôme de Trump partout. L’effroi partagé soude tous ceux et celles qui avaient peur de leur propre ombre. Ensemble on est plus fort et la chasse aux sorcières dont Dolce Gabbana, H&M, Victoria Secret, -des marques au nom désormais imprononçable- ont fait les frais en témoigne. La règle est là. Soyons amis à condition de ne pas se connaître. Connectons nous au camp de ceux qui disent non. L’important c’est de le dire. Les Phoebe Philo nostalgiques sont devenues en moins d’une saison les dignes pleureuses trahies, les voici même démodées par celles qu’on n’avait pas vu venir, les post metoo, nouvelles furies d’un néo féminisme anti-puritain.
4/ AVOIR UNE EXPRESSION DE MARQUE… C’est bien sur l’objectif.. Mais là encore, on ne peut qu’être surpris par le double langage, ou plutôt son absence masquée par des posts anonymes. Il fut un temps où les créateurs de mode savaient s’exprimer à travers leur métier. Aujourd’hui, tout se passe comme si le vêtement était devenu si secondaire, alors que curieusement dans la société civile, il a reconquis sa place d’étendard pour exprimer une appartenance (du gilet jaune au foulard), un signe politique, idéologique (la capuche noire du casseur).
5/ Y A T-IL ENCORE UN COUTURIER DANS LA SALLE? Merci à Jacquemus le bienheureux et à Marine Serre et à sa télé-réalité griffée. Mais là encore tout se passe comme si le créateur de mode, pour être reconnu devait faire voeu de chasteté par rapport au merveilleux, au singulier, au point de vue qui le distinguerait vraiment. Au lieu de quoi, le logo, le slogan identitaire, la bonne conscience éthique, ethnique, minoritaire, activiste, (LGBT etc…) permet à chacun de se refléter dans l’autre. De barboter au lieu de nager. Avec les grosses bouées made in China, on flotte dans l’eau trouble du standard, une sorte de paradis artificiel et diversitaire sous influence, dominé par la collab, où le D.J est roi.
6/ LA PEUR DU MERVEILLEUX Voici l’autorité totalement remisée. Comme en politique, celui qui a un point de vue est forcément dangereux. Nous voici donc à l’heure prozaquizée de la parole sans voix, du créateur avec prompteur, et de la com tendance speakerine. Un ersatz de point de vue totalement muselé par la peur du lançeur d’alerte. L’image lissée pour les mêmes raisons. Hier on retouchait jusqu’à l’extrême. Aujourd’hui l’ordinaire a raison de l’idéal. L’adoration qu’un propre groupe se rend à lui même et à son gourou dont il est l’émissaire s’exprime dans l’aboiement généralisé, la haine de l’autre, le coupable. Le respect se confond avec la tyrannie, le talent avec le super pouvoir du petit chef qui tétanise son équipe. La peur fait le reste. A quand de vrais Etats Généraux de la mode pour parler de transmission, d’artisans négligés, d’assistants éreintés, d’égos surdimensionnés, de gabegie? Pour réhabiliter d’autres cieux que ceux de la violence?